Chapitre 43 : Crêperie et crêpage

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Lundi 6 octobre 20 h 17
GWENDAL - bassiste de SKIN

Le restaurant invité par Hadrien, c'est un concept à part entière. Une vie ne suffirait pas pour comprendre un type aussi cintré.

Déjà, ça commence avec le choix du resto. Pas un kebab planqué dans une ruelle calme. Certainement pas. Quand Hadrien organise quelque chose, il ne le fait pas à moitié. Notre grand manipulateur avait choisi la crêperie dans le centre. Pourquoi la crêperie ? Parce qu'elle est située sur la place principale, en face de l'espace culturel, à côté de la mairie et à une centaine de mètres du lycée. Parce que, pour résumer, quiconque veut traverser le centre-ville de notre cher patelin doit passer devant l'établissement.

Est-ce un coup de chance si nous avons eu droit à la table placée contre la vitrine ? J'ai des doutes.

Pour le côté impact visuel, ce n'était pas bien dur : une bande d'adolescents attire toujours les regards. Alors quand on y trouve une fille avec la maigreur de Skinny, le physique d'ange noir de Matt et l'élégance naturelle d'Hadrien, c'est aussi discret que de porter un cardigan et une jupe plissée au Hellfest¹.

Le choix de l'heure du rendez-vous a aussi coïncidé mystérieusement avec la fin du cours de danse contemporaine qui s'entraîne en face. Nous sommes tombés sur Jules, un ami d'Hadrien (si du moins, on considère que le batteur est capable de sentiments) venu raccompagner sa sœur cadette. La vingtaine de ballerines a donc eu le loisir d'observer notre groupe au complet pendant qu'on échangeait quelques mots avec lui. Un privilège assez rare puisqu'en-dehors des concerts, Hadrien sort rarement avec nous. Les quelques murmures étouffés m'ont convaincu du scoop.

Et j'ai probablement manqué une foule d'autres détails du plan préparé avec minutie par notre leader. Même son choix de galette (une complète) devait avoir une signification. Un vrai taré. Mais ça vous le saviez.

Le pire, c'est sans doute que tout ce stratagème a fonctionné puisqu'on a gagné de nouveaux abonnés sur Insta et Twitter. Est-ce qu'ils sont là pour la musique ? Laissons-leur le bénéfice du doute. Il y avait quand même de très jolies filles parmi les danseuses.

Je sais que je suis mauvais joueur. C'est idiot de croire qu'un groupe d'ados de province peut se tailler une quelconque renommée sans jouer des atouts de son image. Pas dans un monde où les réseaux sociaux minimisent le texte pour laisser la part-belle aux photos et où la radio nous ressasse indéfiniment les mêmes tubes latinos dès le premier rayon de soleil. On ne peut pas se permettre de griller certaines cartes, mais j'aurais aimé rester naïf.

Cependant, il y avait une fausse note dans la partition parfaite d'Hadrien, c'était la sortie. Ou plutôt l'énorme hic qui nous y attendait.

Je m'explique : notre as des prédictions savait probablement que Sweet Poison sortirait de répétition dans les mêmes heures que nous du restaurant. Avec l'excitation de l'enregistrement prévu à la fin du mois, on fait tous du rab au local. En outre, le groupe de mon frère joue samedi en concert.

Notre salle de répétition étant à deux pas du centre-ville, il était inévitable qu'on les croise. Sauf que vu la tête de Rebecca, ce n'est pas tout à fait sur un Sweet Poison collaboratif auquel on fait face.

— Toi ! hurle Bec' en pointant Hadrien du doigt.

La batteuse a les joues tachetées de fureur. Malgré ses vingt centimètres de moins, elle semble à deux doigts de sauter au cou d'Hadrien pour l'étrangler. Seule la main de Kwan posée in extremis sur son coude l'empêche de lui rentrer dedans.

—Je le savais ! beugle-t-elle. Je savais qu'on n'aurait jamais dû partager ce putain de local avec ton groupe. Je savais que ta putain de trogne de serial killer nous attirerait des ennuis, c'était certain ! Je m'en veux d'avoir été aussi conne.

Skin vs Sweet Poison - let's rock !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant