Vendredi 27 octobre 18h17
SKINNY - guitarieste de SKIN
Dans un lacis de grincements métalliques, de ronronnements de soufflerie et de mises en garde sonores, le cocon de métal du TGV s'ébranle. Le train avance lentement. Derrière le filigrane du quai reflété sur la vitre, la paume de Gis s'agite pour nous dire au revoir et s'éloigne petit à petit. J'ai le temps de distinguer les chiffres digitaux du numéro de voiture en bout de wagon, puis le train accélère et tout devient flou.
— Elle va finir en tendances Twitter , marmonne Arthur.
— Pardon ?
— Ma grand-mère. La fille en face d'elle la filmait avec son portable.
— Ah...
Comme lui, comme les membres de SKIN et sans doute, comme tous ceux qui connaissent Gis, la métamorphose opérée continue de me troubler. Brutalement, une autre personne nous est apparue, bien au-delà des vêtements symboliques et de la justesse des accessoires. L'assurance de Gis, le naturel avec lequel elle est devenue punk rescapée des mouvements peace and love après nous avoir cajolés en mamie gâteau la veille, rend impossible sa caricature. J'envie ce cran et sa facilité à jouer tous les rôles.
— Tu n'aimes pas l'attention qu'on lui porte ? demandé-je.
— Si, si, bien sûr. Enfin, ça m'est égal, disons. Mais c'est juste que... J'ai le sentiment d'avoir merdé un truc quelque part. Mais elle fait ce qu'elle veut, c'est moi qui suis idiot.
— Tu t'inquiètes, c'est tout.
Il sourit timidement.
— Merci, c'est gentil.
On remonte dans le hall principal. À notre arrivée avec Gis, mon train pour rejoindre Versailles n'était pas encore été annoncé.
— Tu ne rentres pas ? demandé-je à Arthur lorsque je remarque qu'il me suit sous le tableau d'affichage.
— Euh, non. Je pensais te tenir compagnie en attendant ton train. Enfin sauf si ça te dérange.
— Non, pas du tout. Au contraire.
Hall numéro 1, veillée par les publicités suspendues et les enseignes qui la borde, la marée de voyageurs en week-end déferle sans discontinuer. Avec elle, un brouhaha d'annonces au micro, de valises aux roues gravillonnées, de morceaux de conversations éparpillées, de cris d'enfants, d'appels impatients, de talons claqués sur le carrelage et de tous les échos des voix sous les hauteurs qui emporte autant qu'il étourdit. Ce n'est pas de la musique. C'est plus oppressant qu'un bruit de fond et plus mélodieux qu'une nuisance. Ça vibre comme une langue inconnue, un méli-mélo de sons étrangers et de mots inaccessibles.
Pour me repérer, je m'ancre au silence égal d'Arthur et profite du sillage créé par ses épaules pour traverser le labyrinthe en mouvement. Nous nous slalomons entre des inconnus aussi différents que leurs pieds entrevus me paraissent semblables, zigzaguons entre des bagages qui se confondent avec les enfants, frôlons des manteaux et des écharpes, et à chaque inspiration, redécouvrons des parfums d'eau de toilette, de sueur, de pâte feuilletée à peine sortie du four, de jeans encore humide de pluie, de graisse de lubrification, de journaux froissés et de linge séché à l'air libre. Ce n'est que parvenus sur le quai que la multitude s'apaise. Le long de la voie ferrée, les ouvertures préviennent les résonnances et les groupes de voyageurs sont plus dispersés, moins fébriles ; je respire.
— On se met là ?
Arthur désigne un banc libre contre la verrière et j'acquiesce. Une horloge synchronisée surplombe notre siège. Selon les aiguilles, il reste un quart d'heure avant le départ de mon TER. Tout va bien.
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Skin vs Sweet Poison - let's rock !
Teen FictionEn théorie, nous sommes un groupe de rock lycéen. En pratique, notre batteuse est fêlée, notre chanteur idolâtre Mercury et mon nom sonne plus comme le huitième membre de BTS que comme celui d'un bassiste. Et puisque visiblement, ça ne suffisait pas...