Dimanche 7 septembre 2h45
LUKAS - chanteur de Sweet Poison
Ouh la Terre tourne drôlement.
Une pause s'impose avant que je finisse le nez dans le même état qu'un persan grâce au carrelage. C'est dingue tout de même à quel point les lumières peuvent vaciller.Je quitte à regret le salon reconverti en piste de danse et gagne la terrasse où m'attend un transat vide. Par-fait.
L'air frais de l'extérieur me fait du bien. Mes pensées s'éclaircissent et mes jambes, après avoir enchaîné les déhanchés pendant plusieurs heures, savourent le répit accordé.
— On prend un entracte ?
Je sursaute et mon cœur rate un battement (or, vu qu'il tentait de récupérer, ça n'arrange rien au bazar de mon pouls) au son de SA voix. Même avec le cerveau en vrac, je frissonne dans mon désir sous son timbre grave.
Matt tire une chaise de jardin en fer forgé et s'y installe. Ses gestes sont sûrs et nonchalants ; il est sobre.
Les neurones, je vous présente toutes mes excuses d'avoir autant bu. Si vous pouviez retrouver tout de suite votre fonctionnement habituel, ce serait fantastique. (Parce que déjà qu'en temps normal, vous faites n'imp'... )
— Ouais.
Allez, on se concentre là-haut ! La pipelette que je suis doit trouver quelque chose de plus long à dire.
— Je laisse une chance à d'autres de se montrer.
Il rit. Et même depuis le brouillard alcoolisé dans lequel je me trouve, l'éclat de ses dents dévoilées par ses commissures, ses fossettes creusées et les ondulations de ses cheveux noirs sous son mouvement de tête, brillent avec la luminosité d'un phare sur mes rétines.
— Tu es beau.
Quoi ?! Que viens-je de dire ? Les neurones, taisez-vous. Tai-sez-vous.
Matt se tourne vers moi, d'abord surpris. Je risque un œil dans sa direction. Il a l'air plus amusé que choqué. Ça me rassure. Un peu.
— On aurait un peu bu non ? demande-t-il, un sourire en coin.
— Sûrement...
Je joue avec le bas de mon T-shirt.
— ...mais tu peux garder le compliment. C'est sincère.
— Merci, répond-il, un peu gêné.
À ma connaissance, Matt n'est pas gay. Et encore moins amoureux de moi. Je ne connais pas beaucoup d'hommes qui acceptent les compliments venant de garçons — surtout quand ils sont ouvertement homosexuels. Une qualité de plus à ajouter sur sa longue liste.
— Si c'est le moment des confidences, je te trouve très bon danseur, déclare-t-il.
— Oh...
Je rougis et mon estomac déjà malmené par l'alcool fait un bond. Toi, tu rejoins le même placard que les neurones.
Mille réponses me viennent mais je n'ose rien. (Moi, le gay revendiqué, le chauffeur de scène, le chanteur provocateur, je n'ose pas. Amour, tu es une garce. )— Je ne... (Stop, stop, stop) Je veux dire que...(Stop !) merci.
Nouveau sourire taquin de l'ange sombre. Mon cœur peine à suivre ces émotions.
— C'est l'alcool qui te rend comme ça ?
— Oui. Sans doute. Je ne sais pas.
Tu parles, Charles. Comme si je n'avais pas remarqué que mes mots se tarissaient à chaque fois que j'approche de sa perfection.
— On va laisser ça au mystère.
Un goût aigre me remonte brusquement en même temps que mes premières pensées cohérentes. Matt n'est pas idiot. Je suis sûr qu'il a deviné mes sentiments, ou qu'il en a au moins une idée. Or, s'il était intéressé, il serait dansé avec moi. Le chanteur de Skin n'est pas timide, il se fiche de ce que les gens peuvent penser de lui : il aurait osé.
Il se comporte gentiment avec moi par habitude. Parce que Matt est la gentillesse et la douceur incarnées. Peut-être aussi parce que toute ma gêne le divertit, comme on s'amuse de l'embarras d'un enfant face à une grande personne. Ça le flatte. Ce n'est pas fait pour blesser, mais le constat me déchire. Je suis à deux doigts de craquer.
Dans l'éternel chaos qu'est ma tête, R.E.M. me susurre le refrain d'Everybody hurts. C'en est trop. Je me lève, les yeux rivés sur la maison éclairée. Hors de question que Matt voie les larmes sur le point de me submerger. Les divas sont toujours belles.
Pourtant, je contemple quand même son visage alors que je lâche, d'un ton que je veux enjoué :
— Bon, ça caille ici, je me rentre ! À plus !
Je n'entends pas de réponse. Seulement Michael Stipe qui se fout de ma gueule en rappelant que tout le monde souffre.
Dimanche 7 septembre 5h36
HADRIEN - batteur de SKIN
Rebecca s'est endormie. Je pourrais faire une réflexion sur son manque total de considération envers ses partenaires sexuels après acte, sauf que ça ne servirait à rien. Rebecca n'est pas du genre polie et attentionnée.
Je me redresse et quitte le lit. Je n'ai jamais eu besoin de beaucoup de sommeil, surtout hors de chez moi.
Plus aucun son ne vient du rez-de-chaussée ; ils ont dû tous aller se coucher. Même dans le cas contraire, je n'ai aucune raison de descendre. Les ados en train de cuver ne sont pas ma passion.
Je fouille mon jean pour un paquet de clopes et j'allume une cigarette que je fume à la fenêtre. Il fait trop noir dehors pour s'intéresser à ce qui se passe entre les volets. Je me tourne vers Rebecca. Une description ? Alors une flatteuse et ce sera mon remerciement pour sa promesse tenue de nuit de plaisir. Parce que je lui dois au moins ça, Rebecca mérite son surnom de Reine de la Nuit. Et aussi parce que, dès son réveil, elle me sera toujours aussi pénible, et je l'agacerai tout autant.
Ma compagne de cette nuit de fin d'été dort. Allongée en sous-vêtements sous un drap fin. Ses cheveux défaits retombent en auréole autour de son visage. Elle est presqu'élégante lorsqu'elle est immobile. Un peu moins impossible lorsqu'elle se tait. Je souffle la fumée dans la nuit.
« Les baleines ne servent à rien sur Terre, laisse-les s'épanouir dans leur élément. » C'est la seule phrase intelligente qu'elle m'a sortie de la soirée. J'ai beaucoup aimé. (La fellation qui a suivi aussi, mais je m'égare).
Peut-être que Rebecca n'a pas complètement tort. Ne sommes-nous tous pas des baleines heureuses seulement dans notre mer ? Ridicules et patauds partout ailleurs, et tant admirés lorsque nous retrouvons ce pour quoi nous sommes faits ?
*Everybody hurts, 1992, chanson du groupe R.E.M dont Michael Stipe est le chanteur
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Vous allez bien après ce changement d'heure ? :)
Voilà pour ce nouveau chapitre et dernier de cette soirée. Plus calme de nouveau passée minuit. À l'écoute de vos avis comme toujours !
Prenez soin de vous,
Anne
.
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Skin vs Sweet Poison - let's rock !
Teen FictionEn théorie, nous sommes un groupe de rock lycéen. En pratique, notre batteuse est fêlée, notre chanteur idolâtre Mercury et mon nom sonne plus comme le huitième membre de BTS que comme celui d'un bassiste. Et puisque visiblement, ça ne suffisait pas...