Chapitre 1 - Caliban

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Trois ans plus tard


— On y est, ça y est, Cal' ! L'université, enfin ! C'est dingue... Tu réalises ?

— Un peu, oui. Ça fait juste... oh, environ tout l'été que tu me bassines avec tes plans pour après la rentrée. Donc ouais, je réalise, je crois.

— Allez, ne joue pas ton rabat-joie. Je sais que tu es content d'être là. Ce sont les plus belles années de notre vie qui s'ouvrent, tout le monde le dit !

Mon meilleur ami, James, éclate de rire en écartant les bras autour de lui. Et c'est vrai que de son point de vue, la journée doit ressembler à tous ces films qui donnent l'impression que la vie est dix fois plus intense pendant les années de fac. Sous un soleil radieux, la Western Connecticut State University se déploie devant nous, ses bâtiments de brique rouge se dressant entre de larges parterres d'herbe bien entretenue. Depuis que nous avons quitté notre résidence pour partir explorer le campus, James ne tient plus en place. Il ne cesse de s'extasier devant chaque terrain de sport, chaque dortoir, chaque labo de recherche.

Sérieux, il s'est même arrêté pour prendre en photo des tables de pique-nique !

Pourtant, ce n'est pas comme s'il découvrait les lieux : nous les avons visités lors des dernières journées portes ouvertes, et surtout, nous habitons à quelques kilomètres d'ici depuis notre enfance, juste au nord de Danbury. Plus que les cursus proposés par la WestConn, ce qui a motivé notre décision de la rejoindre, c'est la possibilité qui nous a été offerte d'intégrer son équipe de natation : les Danbury Dolphins. James et moi pratiquons depuis le collège, et nous avons eu la fierté d'être repérés par le coach de notre nouvelle fac lors des compétitions auxquelles nous avons participé au lycée. À présent, nous voici prêts à nous lancer dans les piscines pour porter haut les couleurs qui sont désormais les nôtres, l'orange et le bleu foncé.

James est extatique depuis qu'il a reçu sa lettre d'admission. Et je suis moi aussi ravi, contrairement à ce que les apparences pourraient laisser croire. J'ai hâte de contribuer à l'effort collectif de l'équipe d'aller chercher les meilleurs résultats possibles, de rejoindre ce groupe de sportifs animé par la même passion. Mais il y a en moi une nervosité que la perspective de la rentrée n'a fait qu'amplifier. Les études sont censées être la période où l'on s'accomplit, où l'on parvient à devenir la meilleure version de nous-mêmes. Or, en natation, je suis bon, mais en dehors de ça... Mes résultats académiques sont corrects, sans plus ; surtout, j'ai peur de ne pas savoir faire de différence. J'aimerais que ma vie compte, avoir un impact sur le monde. Et si je ne trouvais pas ma voie ? J'ai choisi un cursus en communication, approuvé par mes parents ravis des débouchés larges qu'il offre, mais l'ironie de la situation ne m'échappe pas, à moi qui peine si souvent à trouver de quelle manière engager ma voix. Ce n'est pas que je sois timide, c'est que je ne me sens pas à la hauteur. Je voudrais laisser ma marque, mais j'ignore comment agir d'une façon qui importe.

Ce doit être plus facile quand on est comme Dorian, mon frère. Brillant, si sûr de sa vocation. Passionné de mathématiques, il a réussi à intégrer Princeton, l'une des universités les plus prestigieuses du pays, et il est évident qu'il se dirige vers une carrière tout aussi remarquable. Dans quelques années, je n'ai aucun mal à l'imaginer à la pointe de l'analyse de données dans une entreprise comme Google ou Amazon, œuvrant pour repousser les limites techniques de notre réalité. Je l'admire pour ça, et je suis fier de lui : à mes yeux, il est avant tout mon frère, et je l'aime. Il n'empêche que cela me pousse à me poser la question de l'empreinte que moi, je m'apprête à laisser.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant