Chapitre 52 - Arabella

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Mon portable vibre. Aussitôt, je délaisse les carottes que j'étais en train de couper en petits dés pour consulter le message que je viens de recevoir.


Bonjour, mademoiselle Gomez. Je me permets de vous écrire directement pour vous demander comment s'est passé l'entretien avec le directeur athlétique de votre université qui vous préoccupait tant ces derniers jours. J'espère que vous avez su faire valoir efficacement votre point de vue. Cordialement, Eduard Aguilar.


Je devrais être touchée qu'il prenne la peine de prendre de mes nouvelles ; et une part de moi l'est. Mais ce qui domine, c'est la déception. C'est un autre nom que j'aurais voulu voir s'afficher sur mon écran... Il a suffi de la fraction de seconde dont j'ai eu besoin afin de récupérer mon portable pour que mon cœur s'emballe.

Quelle idiote... À quoi m'attendais-je ?


Tout s'est très bien passé : nous avons réussi à faire réintégrer l'étudiante que je défendais pour ses championnats de ligue, je tape en réponse. Merci encore pour les précieux conseils que vous m'avez donnés sur la manière de faire valoir mon point de vue.

De rien. Vous aviez déjà effectué un travail de recherche admirable. À mon avis, le sérieux de votre engagement pourrait être un argument de taille dans votre dossier de candidature à Harvard l'an prochain. Je vous aiderai à effectuer un compte-rendu de votre action de la manière la plus convaincante possible, si vous le souhaitez.


C'est une proposition si généreuse... Un tout autre jour, j'aurais trépigné de joie sur ma chaise. Là, c'est à peine si mes lèvres s'étirent en un sourire alors que je remercie mon employeur, une fois de plus.

— Mauvaises nouvelles ? me demande ma mère lorsque je repose mon téléphone.

Je relève la tête pour l'observer. Nous nous faisons face, de part et d'autre de la petite table de sa cuisine – moi devant mes carottes, elle en train de rincer le riz. Avec mon travail au cabinet d'avocats, il est rare que je dispose d'une soirée libre en semaine. Celle dont je bénéficie aujourd'hui, j'ai décidé de la passer auprès d'elle. Toute occasion est bonne à saisir.

— Au contraire, je la détrompe. C'est maître Aguilar qui vient de m'écrire : il va m'aider à présenter mon intervention d'aujourd'hui de manière à étoffer mon dossier pour Harvard.

— Oh, super ! Je suis vraiment contente pour toi.

Son regard, braqué sur moi, me transperce tandis qu'elle ajoute :

— Mais alors... pourquoi est-ce que tu fais cette tête ?

Je soupire. Elle insiste :

— Depuis que tu es arrivée, tu as l'air contrariée, et je ne comprends pas pourquoi. Tu as obtenu la victoire pour laquelle tu te battais. Tu ne devrais pas t'en réjouir, plutôt ? Et pourquoi tu n'es pas restée plus longtemps à l'université pour la célébrer avec tes camarades, d'ailleurs ?

— J'avais promis que je mangerais avec toi !

Ma mère penche la tête en avant, dubitative. Je baisse la mienne.

La vérité, c'est qu'elle est beaucoup trop perspicace. Oui, je devrais être heureuse, fêter ce succès que j'ai contribué à décrocher ; encore plus après le message de maître Aguilar. Mais le seul auquel je parviens à penser, c'est Caliban. À l'indifférence à laquelle il a réagi à ce que j'essayais de lui dire ; à la jalousie que j'ai ressentie lorsque Jade s'est jetée dans ses bras, alors qu'autrefois, c'est autour de moi qu'ils se refermaient.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant