Chapitre 20 - Caliban

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L'espoir peut faire mal. Je ne suis que trop bien placé pour le savoir.

Alors, le lendemain du jour où Arabella et moi nous sommes embrassés, je m'efforce de le museler. Je me répète sans cesse qu'il est possible qu'elle ne réponde jamais à mon message ; que c'est probable, même. Ce n'est pas parce qu'un moment d'égarement nous a poussés l'un contre l'autre qu'elle voudra réitérer l'expérience...

Mais j'ai bien du mal à défendre les sages paroles de ma raison face à l'euphorie qui monte en moi à chaque fois que je repense en ce qui s'est passé au Little Red. J'ai eu le sentiment qu'enfin, Arabella me voyait. Que tous ces élans qui s'agitent à moi et que je suis si souvent contraint de confier à l'eau faute d'une oreille attentive trouvaient leur chemin jusqu'à elle. J'ai toujours pressenti une connexion entre nous : cette fois, je ne peux pas l'avoir rêvée, si ? Elle l'a perçue comme moi, sinon elle ne se serait pas attardée si longtemps à mes côtés...

Malgré toutes mes bonnes résolutions, je vérifie mon téléphone toutes les dix minutes. Souvent, je n'ai même pas conscience de le vouloir : j'en allume juste l'écran, machinalement. La plupart du temps, il n'y a rien de nouveau ; parfois, mon cœur rate un battement en constatant l'arrivée d'une notification, avant de sombrer dans ma poitrine lorsque je réalise qu'elle n'a rien à voir avec Arabella.

— ... ce que je veux que vous reteniez, c'est qu'un plan de communication réussi est avant tout cohérent, c'est-à-dire adapté à la cible qu'il va viser. Toute la créativité que vous pourrez déployer sera perdue si vous la mettez en œuvre dans la mauvaise direction.

Ma prise se raffermit autour de mon crayon, et je m'astreins à prendre en note ce que le professeur est en train de dire. C'est mon dernier cours de la journée, il est déjà 15h30, et j'ai bien du mal à me concentrer sur autre chose que sur la tempête dans mon cœur... Arabella n'est pas la seule responsable de cette situation, cela dit : ce matin, me lever avant le soleil après seulement quatre heures de sommeil pour me rendre à l'entraînement dans les temps a piqué ; et la sieste que j'ai faite avant de me rendre à ce cours n'a pas miraculeusement arrangé les choses. Heureusement, je peux confortablement me fondre dans la masse des dizaines d'étudiants installés dans cet amphithéâtre : j'ai peu de risques d'être soudain pointé du doigt et sommé d'intervenir, d'autant que je me suis assis dans les derniers rangs. D'ici vingt minutes, je pourrai filer à la piscine du campus pour ma deuxième session de natation de la journée. J'attends ce moment avec impatience, tant pour me libérer de cet amphithéâtre que pour m'éclaircir les idées au contact si salutaire de l'eau.

Le professeur se tait et s'approche de son ordinateur pour faire passer le diaporama qu'il projette au mur à la slide suivante. Je profite de la courte interruption pour allumer l'écran de mon téléphone, une fois de plus... et cette fois, mon souffle se coupe.

Un message m'attend. D'Arabella.

Le sang me battant aux tempes, je déverrouille mon portable et lit avidement les quelques lignes qu'elle m'a écrites :

Je suis désolée de la manière dont j'ai quitté le bar hier soir, tu ne méritais pas ça. Je passais un bon moment, pourtant, mais j'ai... paniqué.

Je déglutis, la gorge sèche. J'ai peur de me faire de fausses idées... mais le simple fait qu'elle ait pris le temps de me répondre ne peut qu'être bon signe, non ?

Je te l'ai dit, je ne t'en veux pas, je tape en retour, décidé à la mettre à l'aise. Pas besoin d'en reparler ou de te justifier. J'espère juste que ça va mieux maintenant.

Nerveux, je tapote le bout de mon stylo contre mon carnet de notes jusqu'à ce qu'un nouveau message m'arrive :

Oui, ne t'inquiète pas. Je vais être un peu fatiguée pour assurer la table ronde de ce soir, mais heureusement, c'est la dernière.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant