Chapitre 13 - Arabella

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— Maître Paterson ? Votre rendez-vous de dix-huit heures est arrivé.

— Merci, mademoiselle Gomez. Faites-le patienter à l'accueil, j'aurai quelques minutes de retard.

— D'accord, je m'en occupe.

Je repose le combiné du téléphone fixe du standard puis adresse mon sourire le plus professionnel à l'homme en costume qui me fait face de l'autre côté de mon comptoir.

— Vous pouvez vous asseoir, maître Paterson va venir vous chercher en personne sous peu.

— Très bien, merci.

Le client s'éloigne de quelques pas pour s'installer sur l'un des deux canapés disposés tant bien que mal dans ce petit hall. Il pose sa mallette en cuir sur ses genoux, puis se baisse pour récupérer le dernier numéro du Financial Times parmi les magazines étalés sur la table basse. Je l'observe encore quelques secondes, puis reporte mon attention sur mon ordinateur : l'homme semble décidé à attendre patiemment, je peux donc reprendre la révision de mon cours de droit administratif là où je l'avais laissée.

Le job que j'exerce depuis l'année dernière pour financer mes études a de nombreux avantages. Réceptionniste pour un cabinet d'avocats, je suis tenue d'assurer une présence constante afin d'accueillir les visiteurs qui se présentent, répondre au téléphone ou encore réceptionner les plis apportés par les coursiers. Cependant, de nombreux temps creux me laissent la possibilité de travailler pour mon cursus pendant que je suis ici. Je prends mon poste à 17h30, pour prendre le relais de la réceptionniste principale qui termine sa journée, et je rentre sur le campus à 20h30. J'ai réussi à organiser mon planning de cours pour les concentrer autant que possible sur les matinées et les débuts d'après-midi, et heureusement, tout tient. Je trouve même que c'est un rythme plus agréable que celui que j'avais en première année, quand j'allais travailler les samedis et les dimanches au MacDonald's le plus proche de chez ma mère.

Surtout, bien que je ne sois que l'hôtesse d'accueil et que je n'aie pas le moindre accès aux dossiers traités, je baigne ainsi dans le milieu dans lequel je vise de faire carrière. Voir défiler les clients, échanger quelques mots avec les secrétaires ou les associés lorsqu'ils ont du temps à m'accorder, recevoir les coups de téléphone qui arrivent au standard... Tout cela est enrichissant, et ne fait que renforcer mon envie de me donner à fond dans mes études pour devenir, un jour, une avocate comme ceux que j'admire. J'espère aussi que cela sera un atout quand je préparerai ma candidature pour les écoles de droit l'an prochain. Mes résultats universitaires joueront, mais les lettres de recommandation sont aussi une partie cruciale du processus de recrutement. J'aimerais que ceux qui étudieront mon dossier n'aient aucun doute quant au fait que je mérite une place dans leur cursus, que j'ai tout donné pour ça.

Parce que c'est la vérité. Il n'y a rien que je ne sacrifierais pas pour toucher mes rêves du bout des doigts.

Cela dit, aujourd'hui, ma concentration laisse à désirer. Ce qui s'est passé à la soirée des Zeta Beta Tau il y a deux jours me trotte dans la tête. Je n'en reviens toujours pas de la déclaration d'amour que Caliban m'a faite de but en blanc. C'est vrai que lorsque nous nous sommes croisés sur les stands d'accueil de la WestConn, j'ai trouvé qu'il me regardait avec beaucoup d'intensité. Mais il me semble que c'était déjà le cas lorsque nous discutions quand j'étais encore au lycée...

Oui, parce qu'il éprouvait déjà des sentiments pour moi à cette époque, d'après ce qu'il m'a dit samedi soir... C'est dingue.

Je n'ai jamais été une grande romantique : l'idée de me consumer pour quelqu'un des années durant me dépasse. Je sais que j'ai fait du mal à Caliban en le rejetant, et cela m'attriste parce que dans le fond, je l'apprécie. Mais je devais couper court immédiatement à tout espoir qu'il pouvait entretenir : l'amour, ce n'est pas pour moi. J'ai d'autres priorités dans la vie... D'ailleurs, m'efforçant de tenir à distance mes souvenirs de la fête, je me focalise de nouveau sur mon cours. Il ne manquerait plus que tout cela m'empêche de travailler, ce serait un comble !

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant