Chapitre 16 - Caliban

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L'ensemble du petit groupe me dévisage, attendant ma réponse. Et je n'arrive pas à déterminer ce qu'elle devrait être. J'ai envoyé un mail pour participer à cette table ronde sur un coup de tête, parce que je ne supportais pas que ma mère minimise le travail que l'Association des Élèves effectue sur le campus. J'ai passé les trois semaines qui ont suivi à me demander quelle mouche m'avait piqué – et à essuyer les reproches de James, qui m'a rappelé que c'était environ la pire décision possible pour me tenir éloigné d'Arabella. En effet, la perspective de ce débat n'a pas cessé de me trotter dans la tête, me rendant impossible de passer à autre chose – alors même que je n'avais aucun espoir que cette soirée change quoi que ce soit au regard qu'Arabella pose sur moi. J'ai bien compris de son rejet à la soirée des Zeta Beta Tau, et de sa gêne lorsque nous nous sommes recroisés à la piscine, que cette porte-là était fermée.

Aussi, bien que je brûle de dire oui, de saisir cette occasion d'être proche d'elle, je me retiens – pour mon propre bien. Je ne veux pas souffrir une fois de plus, à discuter avec elle en devant conserver mes distances, surveiller tout ce que je dirai, museler les sentiments que j'éprouve pour elle, envers et contre tout. Et pour éviter cela, la solution est simple : c'est la fuite.

Mais Arabella est là, et ça change tout.

Elle m'observe avec une expression qui met à mal mes résolutions. J'y retrouve non pas la pitié et l'embarras qui ont empli son regard après mon aveu sur le ponton, mais les étincelles qui s'y étaient allumées juste avant que je ne gâche tout, lorsque nous discutions de musique et de nos vies. On dirait presque... qu'elle espère que je vais venir ?

Je reste encore un instant suspendu entre ma raison et mon instinct, mais c'est ce dernier qui finit par gagner le combat. Dans un souffle, je décide :

— Je vous suis.

— Génial ! s'exclame Andreas. Je vous emmène au Little Red, c'est juste à côté.

Sur ce, nous nous mettons en route. Je prends soin de rester à côté de Walid ; quant à Arabella, elle fait la conversation à Monica. Au bout de quelques minutes à traverser le campus, puis à remonter quelques rues adjacentes, nous atteignons un bar – à la devanture rouge, comme on pouvait s'y attendre. À l'intérieur, la plupart des clients ont notre âge ou à peu près ; l'établissement semble être le repaire des étudiants de la WestConn en mal de sorties. Il s'y est d'ailleurs adapté : la déco est sobre, et les prix affichés sur l'ardoise accrochée au mur plutôt modérés.

Nous nous installons à une table proche de l'entrée, à l'opposé de la piste de danse encore peu animée, et Andreas hèle rapidement un serveur – qui, connaissant sa clientèle, évite soigneusement de nous demander nos cartes d'identité. Monica s'est précipitée pour s'asseoir à la droite de notre guide du soir, et Walid a accaparé la chaise du bout, si bien qu'Arabella et moi sommes installés côte à côte. Je ressens sa proximité avec acuité, tout mon bras me semblant me picoter, et j'ai bien du mal à me retenir de tourner la tête vers elle pour l'observer, elle et elle seule...

Nos boissons arrivées, nous nous remettons à débriefer de ce qui s'est passé pendant la table ronde. Andreas n'en finit pas de s'excuser au nom de l'Association des Élèves du chaos causé par Dustin, malgré les protestations répétées de Monica qu'il n'y est pour rien.

— Et toi, tu ne regrettes pas trop de nous avoir consacré ta soirée ? me demande-t-il également.

— Mais non, je lui assure. C'était une bonne idée, ce débat. Comme dit Monica, ce n'est pas votre faute s'il a déraillé.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant