Je trépigne en me frayant un chemin depuis les gradins jusqu'au hall de la piscine. Autour de moi, les autres supporters des Dolphins commentent le déroulé du meeting avec enthousiasme. Lorsque j'en entends mentionner le prénom de Caliban, je tends l'oreille, avant de réprimer un sourire satisfait lorsqu'ils déclarent qu'il est un excellent ajout aux équipes de relais.
Lui qui tenait tant à prouver sa valeur aujourd'hui, on dirait qu'il y est parvenu...
Elsie nous entraîne jusqu'à la double porte qui donne sur les vestiaires. Nous nous postons là, prêtes à attendre nos nageurs.
Il faut croire que Caliban avait hâte que nous nous retrouvions autant que moi, parce qu'il est l'un des premiers à apparaître. Son sac jeté sur son épaule, il a troqué son maillot de bain contre un pantalon de survêtement et un t-shirt aux couleurs de la WestConn ; ses cheveux bruns sont encore humides.
Lorsque ses yeux bleus se posent sur moi, j'y lis un mélange de bonheur, de tendresse et de fierté qui me donne envie d'y plonger.
Il n'accélère pas pour couvrir la distance qui nous sépare, et je comprends que c'est parce qu'il ignore si je suis prête à assumer publiquement la relation que nous entretenons – quelle qu'elle soit. Mais tant pis si les gens se mettent à spéculer. Je ne veux pas rester loin de lui à cet instant.
— Salut, lâche-t-il en arrivant devant moi.
— Salut, je lui réponds.
Elsie lui adresse un petit signe de la main, avant de se décaler pour nous laisser un peu d'intimité.
— Bravo pour tes courses, je reprends. Tu as géré.
Touché par le compliment, Caliban rosit en ébouriffant ses mèches.
— Je suis super content pour les relais, déclare-t-il. J'ai vraiment eu le sentiment de jouer pour l'équipe, c'était gratifiant.
— Et vous avez apporté la victoire à la WestConn !
— Peut-être qu'on a apporté la touche finale, mais tout le monde a fait un meeting de dingue. Le doublé de James et Theo, les trois premières places de Patrizia... Ça faisait plaisir de voir tous les dauphins à fond.
Son sourire s'est élargi à mesure qu'il parlait. Il se réjouit autant pour ses coéquipiers que pour lui, cela se voit. Un état d'esprit qui ne le quitte jamais, et qui me plaît.
— Tout le monde est en train de fêter ça dans les vestiaires, maintenant, m'apprend-il.
J'ai un mouvement de recul.
— Oh, ne me dis pas que tu t'es pressé pour moi...
— Bien sûr que je me suis pressé. Parce que la personne avec qui j'ai envie de partager ce moment, c'est toi.
Je m'apprête à protester, à lui dire qu'il mérite de profiter de sa victoire avec ses coéquipiers, mais à ce moment, il tend la main pour effleurer la mienne, juste une seconde, et quelque chose grille dans mes neurones.
— Je sais que tu n'es pas encore à l'aise avec l'idée que tout le monde nous voie ensemble, me souffle-t-il en se penchant près de mon oreille. Alors si tu veux, on peut aller discuter dans ma chambre, comme la dernière fois. James part directement chez ses parents pour passer la soirée avec eux, on sera tranquilles.
— D'accord.
C'est moins la perspective de me cacher des Dolphins qui me motive, que celle de retrouver la bulle que Caliban et moi avions créée lors de notre premier date. Ensemble, nous quittons la piscine, et nous rejoignons la station de navettes qui nous ramènera sur l'autre partie de la WestConn. Exposés au regard, nous ne pouvons que marcher l'un à côté de l'autre, et cela me semble trop... froid. Je me rends compte que je voudrais tenir sa main, passer mes doigts dans sa nuque. Être plus proche de lui, autant qu'une force en moi le désirerait.
Je profite du trajet en bus pour lui poser des questions sur la compétition : comment le coach a établi leur stratégie, comment il s'est entraîné, quelles sont les spécialités des différents Dolphins... J'ignorais que la natation était un sport si riche, et je suis captivée par les explications que Caliban me donne.
Il faut dire qu'il me donne envie de m'intéresser à tout ça, c'est vrai.
Une fois sur le campus ouest, il ne nous faut que quelques minutes pour rejoindre Newbury Hall, là où il a sa chambre. Nous montons au troisième étage, et il déverrouille sa porte en me prévenant :
— Je n'ai pas tout aménagé cette fois-ci, j'espère que tu seras indulgente...
— Évidemment !
Je fais quelques pas à l'intérieur. Il devait tout de même se douter qu'il y avait des chances que nous venions ici, parce que la pièce est propre et rangée – pour être déjà passée chez Kennan, Andreas ou un autre mec à l'improviste afin de régler des soucis pour l'Association des Élèves, je sais que ce n'est pas un acquis chez les étudiants. James et lui ont accroché une bannière bleu nuit arborant le dauphin orange de leur équipe sur l'un des murs, rappelant la fresque que j'ai pu découvrir un peu plus tôt au clubhouse de la piscine. Elle n'y était pas la dernière fois : ils ont dû l'installer depuis. Je m'en approche et commente :
— La natation compte vraiment beaucoup à tes yeux, hein ?
Caliban a posé son sac de sport près de la porte. Je le sens venir vers moi pour se poster dans mon dos ; un frisson me parcourt lorsque je perçois sa chaleur.
— Plus que je ne suis capable de le mettre en mots, me répond-il. Ce n'est pas juste un sport. Parfois, quand il y a des choses trop puissantes qui me rongent de l'intérieur, des sentiments que je n'arrive pas à exprimer autrement, nager est la seule manière dont je dispose pour les gérer.
Je me retourne. Il est tout près de moi – cinquante centimètres peut-être – et il m'observe avec une intensité qu'il ne cherche pas à dissimuler. À nouveau, la manière dont il m'ouvre son cœur, avec une complète sincérité, me frappe. Je serais incapable de dévoiler ainsi mes vulnérabilités ; j'ai plutôt tendance à les enfouir, parce que j'ai peur de ne plus être capable d'aller de l'avant si je m'attarde sur elles. Caliban dit qu'il a du mal à s'exprimer, mais moi, j'ai rarement rencontré quiconque m'allant ainsi droit à l'âme.
— Quelles choses, par exemple ? je lui demande d'une voix rauque.
Il pousse un soupir mi-amusé, mi-attristé avant de m'avouer :
— Eh bien... Pendant longtemps, ça a été ce que je ressentais pour toi, et que je n'avais pas le droit de te dire.
Je n'y tiens plus. L'imaginer souffrir à cause de moi me peine. Tout se mélange dans ma tête : l'excitation de la compétition qui court encore dans mes veines, la chaleur qui s'est attisée en moi en le contemplant dans l'eau et au bord du bassin, les cordes qu'il fait vibrer dans mon âme alors que j'ignorais leur existence. Je ne contrôle pas ce qui s'agite en moi, mais pour une fois, cela ne m'effraie plus. Je veux juste me laisser porter, tirer sur le fil qui nous relie pour voir jusqu'où il me mènera.
Alors je couvre la distance qui nous sépare, je presse mon corps contre le sien, et je l'embrasse.
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My Water Heart
RomanceLorsque Caliban fait sa rentrée en première année à la WestConn, il s'attend à prendre un nouveau départ : il a été sélectionné pour faire partie des Dolphins, l'équipe de natation de l'université, et a hâte de combiner ses études et sa passion. Pou...