Chapitre 18 - Caliban

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J'effleure mes lèvres, ayant encore du mal à croire à ce qui vient de se produire. Il y a un instant à peine, la bouche d'Arabella était contre la mienne, encore plus douce que je l'avais imaginée. Les yeux mi-clos, je n'ose pas bouger, conservant l'ombre de notre baiser tant qu'elle ne s'est pas évaporée, tant que seules quelques secondes m'en séparent. J'en évoque les moindres détails, tente de les fixer dans ma mémoire.

La pression des mains d'Arabella sur mon cou.

Le soupir qu'elle a poussé lorsque nos lèvres se sont rencontrées.

La chaleur de son corps sous mes paumes.

Je suis si émerveillé que je ne m'attarde même pas à ressentir de la tristesse. Sans doute le devrais-je : une fois de plus, Arabella a fui, me plantant là. Mais la situation est bien différente de ce qui s'est passé à la fête des Zeta Beta Tau. Ce soir, s'il y a bien une chose dont je suis certain, c'est qu'elle a provoqué notre baiser autant que moi. Je ne me serais jamais permis de l'embrasser sans son consentement au vu de la manière si vive dont elle a réagi sur le ponton. Et ce n'est pas non plus l'alcool qui lui a embrouillé les idées : elle n'a bu qu'une bière, et j'ai veillé à lui racheter un soft pour être certain qu'elle flirtait bien avec moi en pleine connaissance de cause.

Elle voulait ce moment. Il y a eu une lueur dans son regard, sa main sur ma joue, et son visage s'est approché du mien, lentement, déclenchant un geyser dans mon cœur.

C'était parfait. Comment est-ce possible que ce ne soit pas un rêve ? Tout a-t-il vraiment pu changer entre nous en une soirée, alors que même moi, je n'y croyais plus ?

Arabella s'est enfuie... et pourtant, cela ne fait que renforcer mes espoirs que quelque chose soit possible entre nous. Elle était troublée ; effrayée, même. Cela se lisait dans ses yeux, ou plutôt à la manière dont elle peinait à les poser sur moi. Je ne l'ai jamais vue ainsi : quel que soit l'obstacle face à elle, Arabella Gomez l'affronte toujours la tête haute, plus déterminée que n'importe quelle super-héroïne. Comme tout à l'heure, à la table ronde, où elle a tenu bon face à Dustin sans flancher, justifiant une fois de plus toute l'admiration qu'elle m'inspire. Si son armure s'est fissurée, c'est qu'elle a été bouleversée ; notre baiser a réveillé des émotions en elle qu'elle n'a pas su gérer.

Je la comprends, au vu du nombre de fois où j'ai filé droit à une piscine après l'une de nos discussions pour évacuer tout ce qu'elle m'avait fait ressentir... Elle a besoin de mettre de l'ordre dans son esprit ; je le respecte. Même si, bien entendu, j'aurais aimé la garder auprès de moi un peu plus longtemps ce soir...

La musique a changé, revenant aux rythmes pop qui permettent aux danseurs de donner tout ce qu'ils ont sur la piste. Je gêne, planté là au bord de la masse mouvante, immobile : voilà déjà le deuxième coup de coude que je reçois... J'inspire profondément, me résignant à laisser l'image d'Arabella se déliter, et je m'écarte de quelques pas. Sans me presser, je retourne à la table que nous avons partagée, et auprès de laquelle seules mes affaires attendent encore. Je passe mon sweat, que j'avais retiré au vu de la chaleur qui règne au Little Red, jette mon sac à dos sur l'une de mes épaules, vérifie que mon portable est bien dans ma poche, puis quitte le bar. Rien ne me sert de m'attarder ici : je suis à peu près certain qu'Arabella ne reviendra pas. Autant que je rentre sur le campus.

L'air frais de la nuit me fait du bien. Ce n'est pas une piscine, mais il fera l'affaire pour me permettre de réfléchir. Je ne sais pas quoi faire maintenant ; je ne sais même pas si je suis en mesure de faire quoi que ce soit. De son côté, Arabella doit être en train de s'escrimer pour démêler l'écheveau de ses émotions ; je ne peux pas vraiment l'y aider. Je risquerais même de faire pire que mieux à me montrer trop insistant... Pourtant, je n'ai pas envie de ne lui offrir que du silence suite à notre baiser. La balle est dans son camp, mais je souhaite qu'elle sache que je suis là pour elle si elle veut de moi, et que pour ma part, je ne regrette pas ce qui s'est passé.

Je sors mon portable de ma poche, en contemple l'écran éteint quelques instants en continuant à marcher dans la rue déserte. Arabella m'a donné son numéro tout à l'heure... Je lui ai promis de ne pas en abuser, mais je pourrais tout de même lui envoyer un unique message. Après ce qui s'est passé entre nous, cela ne me semble pas injustifié.

J'en pèse chacun des mots alors que je le rédige ; bien que je n'écrive que quelques phrases, il me faut presque tout le temps de mon trajet jusqu'à ma résidence universitaire pour y parvenir. Je les relis une dernière fois avant de les envoyer :

Je comprends parfaitement que tu sois partie, et je ne t'en veux pas. Si tu souhaites qu'on continue à discuter tous les deux, ou qu'on se revoie, n'hésite pas à m'envoyer un SMS – même si c'est dans plusieurs jours, ou semaines. Rentre bien, et prends soin de toi.

Le message s'envole vers sa destinataire, et je lève les yeux vers le ciel plongé dans l'obscurité, confiant mes espoirs aux étoiles.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant