Chapitre 14 - Caliban

3.7K 349 43
                                    

Encore un entraînement où j'ai donné tout ce que j'ai dans l'eau pour tenter de chasser l'image d'Arabella de mon esprit. Ça tombe bien, depuis quelques jours, le coach m'a fait intégrer le groupe des sprinteurs. Les programmes que nous suivons sont axés sur la vitesse : des répétitions de distances courtes à haute intensité : de quoi étouffer la douleur de mon cœur sous la brûlure de l'acide lactique.

Je n'hésite pas à me vider de mon énergie pour essayer, en même temps, de me vider de ma déception. Mais le destin ne m'aide pas. Si seulement je n'avais pas recroisé Arabella hier matin... Notre discussion m'a renvoyé dans une spirale de réflexions. Elle était exactement telle que j'ai appris à l'aimer : bienveillante, et engagée pour ce qui compte à ses yeux. Pas de quoi m'aider à tourner la page... D'autant que sa proposition de participer au débat qu'elle organise n'en finit pas de me trotter dans la tête. J'ai bien senti qu'elle ne me l'a faite que par obligation, parce que le coach l'y a poussée. Je ne veux pas m'imposer, au risque de réveiller entre nous un malaise comme celui qui s'est établi hier, et qui m'a écœuré. Mais je ne peux m'empêcher d'y voir l'occasion de me montrer sous une autre lumière à ses yeux. Cabrera a raison : je suis moi-même persuadé de l'importance du sport pour trouver un équilibre – dans ses études ou en-dehors –, alors je trouverais valorisant d'en être l'un des ambassadeurs. Et mine de rien, il n'y a pas tant de circonstances dans lesquelles j'ai le sentiment de pouvoir agir d'une manière qui sera utile à ceux qui m'entourent.

— Cal', tu recommences à cogiter...

Je me tourne vers James, installé derrière son volant pour nous ramener à notre résidence universitaire depuis la piscine.

— Désolé... je soupire.

— Eh, tu n'as pas à t'excuser. C'est pour toi que je dis ça. Pense aux pizzas qui nous attendent tout à l'heure à la cafétaria, plutôt. Perso, après un entraînement aussi intense que celui dont on sort, j'ai assez faim pour qu'elles occupent tout mon esprit.

Il a bien de la chance...

Je lui suis reconnaissant d'animer notre discussion jusqu'à notre arrivée sur le campus ouest. Avec son aide, j'arrive à mettre ce qui me tourmente à distance l'espace de quelques minutes... Pour ne pas replonger dans mes idées noires lorsque nous remontons dans notre chambre, tandis qu'il part prendre une douche plus poussée que celle que nous avons expédiée à la piscine – il mène une lutte incessante pour limiter l'odeur de chlore dans laquelle il baigne –, je décide de profiter de ce temps mort pour répondre au message que mes parents m'ont envoyé un peu plus tôt dans la journée.

Coucou Caliban, comment se passe ta deuxième semaine ? Tu t'en sors toujours ?

Je l'avais laissé en « vu », n'ayant pas encore eu l'occasion de me poser. Calé sur mon lit, je leur écris :

Oui, nickel. Les cours sont intéressants, et j'arrive à gérer le rythme même s'il est intense, ne vous inquiétez pas.

J'envoie... avant de me fendre d'un rictus désabusé en relisant ces deux phrases. Je ne leur mens pas, mais résumer ainsi ces derniers jours est une telle omission par rapport à ce qui me préoccupe réellement. Je me sens un peu coupable, d'un coup. Je ne suis pas suffisamment proche de mes parents pour m'épancher à propos de mes sentiments, si bien que je peux difficilement leur parler de ce qui s'est passé à la fête de samedi ou de mon échec cuisant auprès d'Arabella. Mais tout de même, ils méritent plus que ces quelques mots génériques...

On m'a proposé de participer à un débat sur le sport universitaire fin septembre, je leur apprends. Je ne sais pas encore si je vais accepter ou non.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant