Chapitre 37 - Arabella

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L'une des choses dont je suis le plus fière, c'est de ma capacité à faire entendre ma voix quand c'est nécessaire. Quand je me suis dressée contre le directeur de mon ancien lycée pour protester contre l'élection de Miss Bethel High, ou quand j'ai décidé de poser ma candidature à la présidence de l'Association des Élèves parce que j'en avais assez qu'elle se détourne de sa mission première, permettre à chaque étudiant de cette université de se sentir bien sur le campus. Ni l'un ni l'autre n'ont été faciles. Peut-être que de l'extérieur, je donnais l'impression d'être solide, imperturbable ; en réalité, c'est juste que je faisais de mon mieux pour museler mes angoisses. Être prête à faire face aux conséquences de ses actes et s'en moquer complètement, ce n'est pas tout à fait la même chose... Cependant, la tourmente passée, je suis toujours sortie de ces épisodes la tête haute. Convaincue d'avoir fait un choix difficile, mais juste.

J'aimerais ressentir la même chose après avoir rompu avec Caliban. Ce n'est pas le cas.

Ma mère n'habite pas si loin de chez les Arden. Je devais rentrer chez elle en fin d'après-midi pour passer le reste des congés de Thanksgiving à ses côtés, je mets juste mes plans à exécution un peu plus tôt que prévu... Je traverse la ville à pied, mes talons claquant sur le béton des trottoirs. Au-dessus de moi, le temps est menaçant, sa grisaille faisant écho aux tiraillements sous mon crâne.

Au fond, je reste persuadée que tout ce que j'ai dit à Caliban était juste. Dans notre relation se lovait une gêne latente qui n'aurait fait qu'enfler. Il était trop dépendant de moi, et ce alors que de mon côté, j'ai toujours eu peur de me reposer sur quiconque. Je devrais me sentir sereine à présent, soulagée d'avoir su me montrer clairvoyante au lieu d'être condamnée à tâtonner pendant des mois. Pourtant, j'ai toujours envie de pleurer, et ce n'est plus à cause des propos que monsieur Arden a tenus. Je sais qu'une fois de plus, j'ai infligé une souffrance terrible à Caliban ; je l'ai vu dans ses yeux, dans son expression brisée juste avant que je me détourne. Et moi aussi, j'ai mal. J'ai beau avoir compris que notre couple reposait sur un déséquilibre trop important pour pouvoir durer, je m'y sentais bien... Je n'ai pas l'habitude de ça : fuir une situation qui m'interpelle plutôt que de chercher à la changer.

Au moins, ses parents se réjouiront que je disparaisse du tableau. Ils m'avaient déjà fait sentir qu'ils ne me tiennent pas en très haute estime, ils doivent désormais me considérer comme l'ennemie publique numéro un. Bon débarras. Je compte bien ne jamais avoir à me trouver en leur présence à nouveau.

Heureusement pour eux, ils n'ont pas de troisième fils avec qui je risquerais de sortir...

Alors que je tourne à l'angle de la rue dans laquelle habite ma mère, je pense toujours à Caliban. J'espère qu'il va bien, j'espère qu'il se remettra de notre rupture au plus vite. Je m'en veux de lui avoir infligé tant de souffrance, cette fois comme par le passé. Il ne la mérite pas. Son seul tort, c'est de m'aimer trop... Je ne peux pas lui en tenir rigueur. Je sais qu'il a essayé d'être celui qu'il me fallait, de tout son cœur. Dommage qu'il n'ait pas su comprendre que celui qu'il me fallait, c'était juste lui, et pas une version de lui-même qui n'existait plus que pour être mon petit ami.

Lorsque je pousse la porte d'entrée de la maison, ma mère m'accueille aussitôt avec une exclamation surprise :

— Tu es déjà là ? Je croyais que tu ne devais rentrer qu'en fin d'après-midi.

— Changement de plan, je réponds succinctement.

Elle m'observe en fronçant les sourcils, avec une lueur perspicace dans le regard qui me pousse à me détourner. Elle n'était pas au courant, pour Caliban et moi ; je ne me sentais pas encore prête à officialiser auprès d'elle. Alors je ne peux même pas lui confier pourquoi je suis si bouleversée désormais...

Je marmonne que je vais travailler un peu dans ma chambre et m'éloigne jusqu'au bout du couloir. Lorsque je pénètre dans la pièce vide, le silence qui y règne me noue la gorge. Avec notre couple, je peux dire adieu à mes échanges de messages incessants avec Caliban, à ces soirées où il venait tranquillement étudier près de moi, me communiquant sa chaleur par sa simple présence.

Ça ira : avant lui, j'arrivais très bien à m'accommoder de mon célibat. C'est juste une phase compliquée à passer...

Pour tenir à distance le trouble de mes sentiments, je m'en remets à mes vieux réflexes : me plonger dans mes cours pour étudier. Tout pour penser à autre chose, pour m'occuper l'esprit avec des faits plutôt que mes émotions trop dérangeantes. Je lutte pour trouver ma concentration, mais à force de volonté, je parviens à la rassembler. Même si la lecture de témoignages dans le cadre de jugements de divorce manque de me faire replonger. Les mots dansent devant mes yeux. Pour une étudiante en droit, il est ironique que j'aie tant de mal à discerner ce qui est juste ce soir. Cette rupture, c'était la bonne décision, ma raison l'a conclu. Alors pourquoi les autres voix dans ma tête ne veulent-elles pas se taire ?

Je me force à me recentrer sur mon cours, à faire taire mes doutes. Tout ça, cet état électrique dans lequel je me trouve, c'est bien la preuve que j'ai eu raison de mettre fin à mon histoire avec Caliban avant qu'elle n'échappe totalement à mon contrôle. Et s'il faut que je me plonge corps et âme dans mes manuels de cours pour faire taire les murmures qui me soufflent le contraire, alors je m'y noierai sans remords.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant