Chapitre 41 - Arabella

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Vingt-trois heures quinze. Chez Charlotte, la soirée de Nouvel An bat son plein. Les membres de l'Association des Élèves sont quasiment au complet, plus quelques camarades de bachelor à elle. Les enceintes pulsent, crachant une musique de David Guetta. Une bonne partie des invités sautent, s'époumonent.

Et moi, dans un angle, je n'arrive pas à me laisser gagner par l'ambiance.

Je ne bois pas énormément en temps normal, mais tout à l'heure, quand Aubree m'a proposé un whisky-Coca, je n'ai pas refusé ; et j'en ai repris un à l'instant. Je lutte contre mes propres pensées, comme si souvent depuis un mois et demi. Cette fois encore, j'en ai assez de perdre la bataille.

Je suis à une fête, avec mes amis. Il y a du monde tout autour de moi, une piste de danse, un son entraînant. Alors pourquoi est-ce que mon esprit s'entête encore à se remémorer le visage de Caliban ?

Ça a commencé quand j'ai réalisé que je portais la même robe rouge que ce soir-là, sur le ponton. J'étais partie en trombe lorsqu'il m'a fait sa déclaration – comme je suis partie à Thanksgiving. Et c'était la bonne décision, j'en ai assez de le remettre en doute. Pourtant, je ne peux m'empêcher de repenser à ce que je ressentais avant de m'enfuir. La connexion entre nous, la douceur que Caliban m'apportait. Ce bonheur léger que je n'ai plus pu saisir une seule fois depuis notre rupture.

Au début, je me suis dit que la période ne s'y prêtait pas, avec les examens de fin de semestre qui approchaient. Fidèle à moi-même, je travaillais pour les préparer comme jamais ; évidemment que je ne pouvais pas me sentir détendue. Me jeter à corps perdu dans mes révisions me semblait également une excellente idée pour oublier Caliban, l'échec de notre relation. Et à la lumière du jour, cela fonctionnait, à peu près. Mais tard le soir, les yeux ouverts dans mon lit, la solitude, la culpabilité et les regrets revenaient m'assaillir ; je les ai combattus de la manière que je connaissais : en me répétant que j'avais fait le bon choix, encore et encore, jusqu'à ce que ce mantra imprègne mon âme. Qu'il redevienne une certitude.

Vous deux, ça n'aurait pas marché. Il te plaçait sur un piédestal, et tu ne veux pas d'un monde où l'amour serait devenu ton seul horizon.

Mais les vacances sont arrivées, et rien ne s'est arrangé. Chez ma mère, ça a même été pire. On aurait dit que le moindre élément du quotidien me le rappelait. Devant mon poster de Rachel Zane, je ne pouvais m'empêcher de me demander s'il avait continué à regarder Suits, ce qu'il en pensait. Je buvais mon café du matin en me souvenant de cette fois où il avait traversé le campus pour m'en apporter un. Même en relisant mes notes de cours, je n'étais pas en sécurité : le bleu de l'encre de mon stylo me rappelait celui de ses yeux...

Souvent, j'ai dû lutter contre l'impulsion de lui envoyer un message. Parce que je voulais savoir comment il allait, parce que quelque chose me faisait soudain penser à lui et j'avais envie de le lui partager, avant de me souvenir que nous n'étions plus rien l'un pour l'autre, parce que je l'avais voulu. J'ai résisté : je n'ai jamais réussi à avoir confiance en moi-même pour ne pas perdre le contrôle de la discussion.

Dorian m'a écrit, peu de temps après Thanksgiving. Il me demandait s'il pouvait faire quoi que ce soit pour arranger la situation, parce qu'il avait mal de voir son frère le cœur brisé. Le mien s'est fendu lui aussi : je n'ai jamais voulu que Caliban souffre, au contraire. Mais c'était nécessaire ; il n'existe pas de rupture douce.

Il faudra bien que je me résolve à lui parler, pourtant, à la rentrée. Au moins pour lui rendre le collier qu'il m'a offert. Je ne peux pas le garder ; de cela, je suis certaine. Pas après les remarques que monsieur Arden m'a faites à son sujet. Je ne veux pas que le moindre doute subsiste quant aux raisons pour lesquelles Caliban et moi sommes sortis ensemble à l'origine, qu'on puisse s'imaginer que je cherchais à obtenir quoi que ce soit de lui. Et j'ai glissé l'écrin dans mon sac de cours, convaincue qu'un jour ou l'autre, j'allais trouver la force de l'attendre à la sortie de la piscine pour le lui redonner. Jusque-là, je n'y suis pas parvenue. Malgré moi, je me suis attachée à ce bijou, et surtout à tous les souvenirs heureux auxquels il est lié. Le rendre, ce serait les enterrer encore plus profondément.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant