Je jaillis vers l'eau à l'instant précis où l'arbitre siffle pour donner le signal du départ. Je suis aligné pour une compétition – ce samedi, les Danbury Dolphins affrontent les Bridgewater Bears. Mais je viens de plonger dans ma course comme s'il s'agissait d'une autre de mes sessions nocturnes à la piscine, quand c'est contre mon cœur mis à mal que je nage.
Une semaine et demie qu'Arabella m'a quitté. Une semaine et demie que je n'ai aucune nouvelle d'elle. J'ai espéré ; j'espère toujours, même si à mesure que les jours passent, l'évidence s'impose à moi avec de plus en plus de force : elle ne reviendra pas. Je suis parfois tenté de lui envoyer des messages pour la supplier de changer d'avis, pour lui exposer une fois de plus mes sentiments. Je me retiens. Elle sait que je l'aime, et ça n'a pas suffi à ce qu'elle reste avec moi. Sa décision me déchire de l'intérieur, mais je dois la respecter. Et puis, je ne pourrais pas encaisser un rejet de plus. J'ai déjà trop souffert, même si je n'arrive pas encore à tourner la page de notre histoire.
À la place, j'en reviens à l'eau, comme toujours. J'épuise mes muscles, à défaut de pouvoir vider ma tête.
Je sprinte sur la première longueur, parce que je ne veux pas seulement aller vite : je veux me faire mal. J'atteins le bout de la piscine en première position, vire en tête. Sous la surface, mes ondulations pour me propulser le plus loin possible après ma poussée sur le mur sont sauvages. Déjà, mon corps proteste. Couvrir plus d'une dizaine de mètres comme je viens de le faire demande une dépense d'énergie énorme. Très bien, c'est ce que je recherche. Si mon cœur bat si fort, ce n'est plus à cause d'Arabella mais de l'effort. C'est parfait.
Le coach Cabrera a décidé de me tester sur une autre distance aujourd'hui : le 200 yards nage libre. Nous avons discuté à l'entraînement de ce que cela impliquerait de différent sur ma gestion de course. Qu'il me faudrait me montrer plus stratège pour gérer mon endurance, savoir conserver des forces pour tenir jusqu'au bout.
J'ai à peine parcouru 75 yards qu'il est déjà évident que j'ai fait n'importe quoi.
Ce n'est pas parce que mon chagrin me brûle de l'intérieur que j'en deviens un surhomme. Le départ en trombe que je n'ai pas su retenir, j'en paye le prix sur la deuxième moitié de la course. Mes bras fatiguent, mes jambes aussi. Ils ne répondent plus comme je le voudrais, me forçant à ralentir. J'étais en tête ; en vision périphérique, je distingue les concurrents dans les lignes d'eau à côté de la mienne me rattraper, puis me passer devant sans que je puisse conjurer en moi le sursaut qui me permettrait de lutter.
Lorsque je frappe le mur à l'issue de ma huitième longueur, je suis avant-dernier. Je retire mon bonnet de bain et le serre contre mon poing, furieux contre moi-même.
Non seulement je pense toujours à Arabella, mais en plus, je viens de sortir une contre-performance qui portera préjudice à l'ensemble de mon équipe.
Bravo, Caliban. Vraiment, j'espère que tu es content de toi.
Je passe sous l'eau pour rejoindre l'échelle au bord de la piscine, félicite Edwin en frappant ma paume contre la sienne au passage. Avec sa première place, lui au moins a décroché des points pour les Dolphins... Hors du bassin, j'encourage d'un signe du menton Abigail, Melody et Jana, qui sont en train d'aller se mettre en position pour leur 100 yards dos.
Je veux juste aller me poser sur un banc et enfouir ma tête dans ma serviette en attendant ma prochaine course – en espérant qu'elle sera moins désastreuse que celle-ci. Mais le coach Cabrera ne m'en laisse pas l'opportunité. Lorsque je passe devant lui, il m'arrête.
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My Water Heart
RomanceLorsque Caliban fait sa rentrée en première année à la WestConn, il s'attend à prendre un nouveau départ : il a été sélectionné pour faire partie des Dolphins, l'équipe de natation de l'université, et a hâte de combiner ses études et sa passion. Pou...