Chapitre 51 - Caliban

1.4K 157 45
                                    

Je suis fier de moi.

Il est rare que je sois certain d'avoir agi comme je le devais, mais aujourd'hui, c'est le cas. Je n'ai pas hésité à faire entendre ma voix face à Becker pour défendre ce que je pense juste ; mon intervention a contribué à changer le cours des choses. Patrizia pourra nager aux championnats de ligue ; or, je sais à quel point cela compte pour elle – autant que pour tous les membres de notre équipe.

J'ai fait la différence, à mon échelle.

Je n'attends pas spécialement qu'on m'en félicite, ou d'en tirer une quelconque gloire. Que tous les yeux soient tournés vers Patrizia me convient très bien : c'est elle l'héroïne du jour, elle qui mérite d'être entourée et assurée de toute l'affection que nous avons pour elle. Mais je savoure ce sentiment nouveau qui s'est emparé de moi : celui d'être à la hauteur, pour une fois. La personne que je voudrais être.

Et c'est dans mon propre regard qu'elle se reflète, désormais. Je n'ai besoin de personne pour voir sa silhouette se dessiner, pas même d'Arabella.

Il n'empêche que j'ai un pincement au cœur lorsque je la vois nous planter là, Jade et moi, et prendre la direction de la table sur laquelle sont disposés quelques bouteilles de jus ainsi que des gobelets. Juste avant l'arrivée de sa camarade de l'Association des Élèves, elle était sur le point de me dire quelque chose. Quelque chose de suffisamment fort pour que sa façade d'impassibilité se fendille.

J'ai pris peur, je l'avoue. Loin d'elle, j'ai réussi à retrouver un équilibre, mais je sais à quel point sa simple présence le fragilise. Nous avons été en contact cette semaine pour épauler Patrizia ; notre combat remporté, nos chemins vont se séparer de nouveau. Je ne peux pas la laisser me dire quoi que ce soit qui réveillerait en moi des espoirs vains, une nostalgie que j'ai mis tant de temps à étouffer. Malgré toute la souffrance qu'il a traversée, mon cœur reste trop sensible à sa présence ; parce qu'elle l'a écorché autant qu'elle l'a fait battre.

— Tu veux quelque chose à boire toi aussi ? me propose Jade. Je peux aller te chercher un verre.

— Pourquoi pas, je...

Je suis interrompu par mon portable qui vibre dans ma poche. Je l'en extrais, et fronce les sourcils en découvrant le nom de ma mère sur l'écran. Il est inhabituel que mes parents cherchent à me joindre un mardi soir ; en fait, je crois que ce n'est encore jamais arrivé. Je m'inquiète aussitôt, pour ma grand-mère en particulier : elle avait l'air en forme lorsque je l'ai vue à Noël, mais à son âge, un pépin de santé est si vite arrivé...

— Désolé, je dois prendre ça, je préviens Jade. Je reviens plus tard.

Elle acquiesce, tandis que je bats en retraite vers les escaliers pour y trouver un peu de calme – le clubhouse bondé de Dolphins étant particulièrement bruyant. La plupart de mes coéquipiers étant rassemblés autour de Patrizia qui a entrepris de relater notre discussion avec Becker, personne ne me suit. J'attends d'être seul dans le hall, au rez-de-chaussée, pour décrocher.

— Maman ? je lâche, une pointe d'angoisse dans la voix. Tout va bien ?

— Bonjour, Caliban. Oui, oui, ça va. Mais il fallait que je te parle de quelque chose.

Je déglutis, nerveux, en attendant qu'elle poursuive.

— J'ai croisé madame Davenport en ville tout à l'heure – la mère de ton ami James. Nous avons un peu discuté, et elle m'a raconté quel tumulte règne dans votre équipe de natation en ce moment. Les menaces de ne pas participer au prochain championnat de ligue, l'insubordination face à votre directeur athlétique... Tu ne m'avais rien dit de tout ça, toi.

My Water HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant