Chapitre 14 : Roxie

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Je devais, de nouveau, m'absenter d'une minute à l'autre. Je ne voulais pas être prise par surprise, cette fois-ci. J'arriverais à l'avance afin de pouvoir me préparer en amont. Cela était ainsi, habituellement, à chacun de mes rendez-vous. Pourtant, ces derniers temps, j'avais tendance à me laisser déborder. Entre le cabinet, le sevrage et ma vie personnelle, je ne savais plus où donner de la tête. J'avais eu affaire à de nombreux reproches de la part de Keyron et Katie, à propos de mon indisponibilité constante de ces derniers mois. Ils exigeaient une soirée où je ne serais aucunement dérangé par des contraintes professionnelles. Je comprenais leur rancœur. Nous avions eu pour projet de vivre dans la même ville, ensemble, afin de nous voir autant que possible. Avant Jerry, j'avais déjà passé près d'un an à l'annexe. J'avais de plus en plus de demande pour ce programme. Le bouche-à-oreille marchait bien trop. Si bien que je ne savais pas comment nous allions organiser les prochaines demandes. Fort heureusement, les demandes restaient seulement hypothétiques en ce moment. Je n'avais qu'un patient déterminé à passer à l'action. Riley était le patient que je devais voir aujourd'hui. Après ce rendez-vous, je comptais bien prendre ma soirée. Monsieur Govern allait plus que bien. Il était sur la voie de la guérison. Il n'avait plus autant besoin de surveillance. Il restait même libre de ses mouvements depuis la veille. Je n'estimais plus qu'harnacher ce pauvre homme soit nécessaire. Cependant, j'avais besoin d'un petit truc en plus afin de le libéré pour de bon. Il avait fait un boulot, sur lui-même, formidable. La confiance était une étape clé pour lui. Il devait croire en lui. Aussi, nous nous échinions à lui montrer notre fierté face à ses nombreux efforts afin de le valoriser.

J'avais eu besoin de l'approbation de Gilbert et Stephen afin de m'autoriser une nuit entière en dehors du cadre professionnel. Ils n'avaient pas été contre, à partir du moment où je leur accordais les deux nuits suivantes afin qu'ils puissent, chacun leur tour, profiter d'une soirée de légèreté. Après les avoir embrassés, exalter par la soirée qui m'attendait, je leur avais promis d'être à ce que je faisais pour les prochaines nuits afin qu'ils n'aient pas à s'inquiéter de ce qu'ils laissaient derrière eux. Ils m'avaient promis la même chose pour ce soir. Pas appel d'urgence. J'étais à cent pour cent libre. J'avais hâte. Cela me ferait le plus grand bien. De plus, mes meilleurs amis me manquaient horriblement. Je n'avais eu que très peu d'occasions de les voir. Je n'avais pas l'habitude de les écarter de ma vie aussi longtemps depuis notre emménagement à Boston.

J'avais une autre hâte, bizarrement. Revoir Riley. Je n'avais pas l'habitude de me laisser détourner de mes devoirs. Pourtant, ces temps-ci, je n'avais pas pu me concentrer fixement sur ce que je faisais. Le retour de Riley dans ma vie m'avait perturbé. Après mon départ pour l'université, son souvenir me revenait encore et encore, culpabilisant de l'avoir abandonné, de l'avoir laissé seul dans cette chambre d'hôpital impersonnelle. Il m'avait fallu plusieurs mois afin de me détacher de sa présence fantomatique autour de moi. À plusieurs reprises, j'avais eu le projet de lui rendre visite jusqu'à me rétracter, me rappelant les mois de torture mentale après mon départ. Je ne voulais plus repasser par la culpabilité de le laisser derrière moi, une nouvelle fois. De plus, je voulais être pleinement à ce qui se jouait dans ma vie. Mes études. Étude qu'il m'avait inspirée. En travaillant si fort, je lui rendais, en quelque sorte, hommage. Il avait changé une vie, et bien d'autres par la suite, par mon intermédiaire. Cela devrait le rendre fier de lui-même. Du moins, s'il savait qu'il était instigateur de ma carrière.

Je voulais réellement me charger de son problème mais je devais, avant cela, régler un petit souci. J'avais l'espoir me tromper. Je priais pour qu'il ne sache rien de moi, que je sois une totale inconnue à ses yeux. Autrement, cela changerait la donne. Même moi, je me rendais compte qu'il m'était impossible de traiter après de lui. La relation médecin-patient serait compromise. Stephen, qui était devenu mon confident, pensait la même chose que moi. Il attendait, lui aussi, des réponses à ce sujet. Cela m'angoissait suffisamment pour qu'une heure avant ce fameux rendez-vous, je range mes affaires, prête à quitter l'annexe, après avoir vérifié que Jerry soit au meilleur de sa forme.

Je récupérais mon linge sale, profitant de passer la nuit chez moi, pour faire une lessive et rapporter du linge propre. J'aurais, également, quelques heures avant de retrouver Keyron et Katie, aussi, je comptais bien en profiter afin de passer chez le coiffeur. Mes cheveux étaient une véritable catastrophe. Il me fallait faire quelque chose. De nature bouclées, ils partaient dans tous les sens. Cela faisait un moment que je n'avais pas pris soin d'eux. Habituellement, je prenais rendez-vous, tous les mois, afin de leur faire subir un lissage brésilien afin de les raidir. Ils étaient bien plus faciles à coiffer ainsi.

Prendre soin des autres n'impliquait en rien de me négliger. Il était temps de penser à moi.

- J'y vais, annonçais-je à mes acolytes, passant la tête par l'encadrement de la salle de repos où ils jouaient aux cartes ensemble.

- Passe une bonne soirée, Rox, me salua Stephen sans lever les yeux de son jeu.

- Salut Keyron et Katie de notre part, ajouta Gilbert.

- Ce sera fait. À demain !

Je les quittais rapidement. Je ne voulais pas être de nouveau en retard. Je voulais avoir suffisamment de temps pour étudier le dossier de Riley et prendre connaissance des résultats de ses derniers examens. Ainsi, je n'aurais pas à couper la séance par mes consultations du dossier, au fur et à mesure de l'heure. Je pourrais entièrement me concentrer sur mon patient. Le dernier rendez-vous n'avait pas été optimal, par le choc et l'absence d'informations du sujet. Je ne souhaitais pas que cela se reproduise. Je n'étais pas compétente sans connaissance et écoute.

Assise derrière mon bureau, j'appris que son état de santé était parfaitement favorable au programme. Cela me laissait mitiger. J'en étais plus que satisfaite. Je dirais même contente. Cela démontrait, chez moi, une attitude non-professionnelle. J'eus, instantanément, honte de moi. Riley mettait à l'épreuve toute ma déontologie professionnelle. Le pire dans tout cela était mon indifférence face à ce fait. Je ne comprenais plus. J'avais toujours été stricte sur la distance émotionnelle à imposer entre les patients et moi mais avec Riley, j'étais prête à m'asseoir dessus.

Lorsque Jerry avait émis l'envie d'entrer dans le programme, j'avais ressenti la fierté de son engagement. Gilbert m'avait prévenu de mon manque de sérieux à ce sujet. J'avais alors repris le contrôle de mes émotions et remis de la distance entre lui et moi. Ne pas s'impliquer plus que nécessaire. Cela était une règle à ne pas transgresser sous aucun prétexte.

Il fallait alors que je me reprenne. Je ne pouvais me laisser dépasser par mes sentiments flous et inappropriés envers lui. Ses soins devaient être une priorité.

Je revoyais chacun de ses résultats afin d'être sûre de ne pas être passé à côté d'une contre-indication. Lorsque je tombais sur le dossier de son hospitalisation, les souvenirs revinrent. J'avais assisté à chacune de ses prises de sang, chacune de ses prises de tensions, chacune de ses vérifications de constantes. J'avais été partisante de chaque donnée écrite sur ces feuillées. Cela était étrange d'être de l'autre côté du miroir, à présent. Ce jeune homme, aux repos forcés, dans ma jeunesse, se trouvait être sous mes bons soins. Cela présentait une situation singulière. Je ne savais toujours pas comment gérer cela. J'avais besoin de temps pour y réfléchir et de parler avec lui, directement. Il me serait inutile de me prendre la tête avec tout cela s'il s'avérait qu'il avait connaissance de ma présente à ses côtés, six ans plus tôt. Pourtant, je ne parvenais pas à faire taire cette petite voix qui me serinait encore et encore que je n'étais absolument pas prête à lâcher Riley dans ses difficultés, même si je venais à apprendre l'interdit...

Pour être plus précise, j'étais dans une merde noire...

Je fus interrompu dans mes pensées par le grésillement de mon interphone, relié au bureau de Nora. J'appuyais sur le bouton en relâchant le dossier de Riley sur le bureau.

- Roxanne, monsieur Mancini, dits faussement monsieur Collins est arrivé...

The spicy benefactress~Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant