Chapitre 22 : Roxie

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Je n'avais pas vraiment dormi, la nuit dernière. Signe ostentatoire de ma fatigue, je baillais fortement en me laissant tomber sur le fauteuil de mon bureau. Nora ne tarda pas à m'emmener un café avec son constant sourire avenant.

- Il faut dormir la nuit, Roxie, se moqua-t-elle.

- Je n'ai pas passé la nuit à faire la bringue, figures-toi.

- Pour quelle autre raison il y aurait à avoir cette mine dès le matin ?

- Le stress ?

Elle afficha une moue dubitative en prenant place face à moi, le bureau nous séparant. Elle attrapa sa propre tasse qui contenait son fameux thé au matcha et souffla dessus, sans me quitter du regard.

- Tu as l'air ailleurs, en ce moment. Qu'est-ce qui se passe ?

Je soupirais profondément en me passant une main sur le front. Étais-je aussi transparente ?

- Je suis simplement fatiguée. Ce n'est peut-être pas une bonne idée d'enchaîner les patients à l'annexe.

- Il faut dire que tu ne t'ait autorisé qu'un mois de repos depuis un an. Tu ne tiendras pas longtemps à ce rythme.

- Ils sont tellement nombreux.

- Et tu ne peux pas sauver tout le monde. Une fois que tu auras intégré ça dans cette jolie petite tête, tout ira mieux pour toi, me conseilla-t-elle.

- Je le sais bien mais c'est plus fort que moi. Je fais ce boulot par conviction et passion. Pas par la force.

- Quoi que je dise, ça ne te fera pas changer d'avis mais au moins, tu as entendu ce que je pensais, dit-elle en se levant, tasse en main, prête à retourner à son poste.

- C'est pour ça que tu es la meilleure assistante et que je ne pourrais me passer de toi.

Elle se tourna dans ma direction, une fois à la porte, et m'offrit un beau sourire avant de fermer la porte derrière elle. La discrète et enjouée Nora était une véritable perle. Elle était indispensable à la bonne tenue du cabinet. Elle se trouvait être ma bonne conscience par moments, également. Je ne savais même pas pourquoi j'étais assise là. Je n'avais aucun rendez-vous ce matin. Je ne prenais jamais de rendez-vous le premier jour d'intégration d'un nouveau patient à l'annexe. Pourtant, me voilà, incapable de rester seule à la maison. J'avais rapidement abandonné l'idée de me rendormir après m'être réveillé en pleine nuit, à la suite d'un rêve. Mon esprit m'avait fait l'honneur de me remémorer, comme si cela se passait réellement, la nuit de l'accident. Je pouvais revoir le sang, les fractures ouvertes, entendre le bruit de la tôle froisser, sentir mes propres battements de cœur erratique. Comment retomber dans le sommeil après cela ?

De toute évidence, le retour de Riley me perturbait encore plus que je le pensais.

J'avalais mon café d'une traite et attrapais le dossier du concerner afin de revoir tout en détail et m'assurer que nous n'avions rien laissé au hasard. Je devais récupérer Riley dans trois heures afin de le conduire, moi-même, jusqu'à sa nouvelle demeure pour les prochaines semaines, voire mois.

Je m'étais engagé auprès de mes collègues à ne pas entrer dans la phase personnelle et rester professionnelle. Sachant que cela devenait déjà compliquer, j'appréhendais beaucoup la suite des événements. Je m'adossais au fauteuil et fermais les yeux. Ceux-ci me piquaient d'épuisement. J'essayais de faire le vide et inspirer profondément. J'avais appris, durant mes années d'études, à user d'astuces en tous genre pour tenir le cap sur les nombreux examens et révisions. Je m'étais créé un petit havre de paix où rien ne pouvait m'atteindre. Jusqu'à présent, je n'étais pas parvenu à y parvenir. Je forçais mon esprit à occulter tous les problèmes de la vie quotidienne, ainsi que ceux qui s'était rajouté à la venue de Riley et visualisais l'obscurité derrière mes paupières. Cela me demandait beaucoup plus de concentrations qu'habituellement mais je parviens à m'y contraindre. Dans cette obscurité, je fis apparaître une chaise, ainsi qu'un écran. Je m'installais sur cette chaise, confortablement et fis apparaître, dans ma main, une tasse fumante de chocolat chaud. La brûlure du mug m'apportait toujours satisfaction. L'écran s'alluma sur une image statique, premièrement. L'image de mes parents riant aux éclats. J'avais toujours aimé les observer interagir ensemble lorsque je n'étais qu'une petite fille. Ils respiraient le bonheur et s'était agréable à voir. Je pris une nouvelle profonde inspiration et changeais l'image de l'écran sur mon premier jour d'école. Le jour où j'avais rencontré pour la première fois une petite fille rigolote, accompagné d'un garçon un peu plus grand. Katie et Keyron et notre première rencontrent. J'avais toujours été fille unique et désespérais d'avoir une fratrie. Je l'avais trouvé en ces deux-là. C'était l'un des plus jours de ma vie. Ils m'avaient immédiatement accepté, moi et ma petite pointe de folie. Défilait sur l'écran bon nombre des moments passer en leur compagnie et mes épaules se décrispèrent petit à petit. Jusqu'à ce qu'un lit d'hôpital envahisse mon jardin secret. L'écran devint, soudainement, immense et affichait le corps endormi de Riley, brancher de partout, plâtrer de partout, les médecins l'entourant. Ce type était un virus qui s'installait partout en moi. J'en venais presque à regretter le temps où je l'avais occulté de ma vie. Depuis qu'il était revenu, tout était sens dessus dessous. Difficile de faire abstraction des souvenirs alors que même mon esprit jouait contre moi.

J'ouvris brutalement les yeux et me redressais. Le moment de répit fut de courte durer. Tout me ramenait à lui. Il fallait dire que Katie m'avait donné matière à réfléchir, la veille. Elle n'en avait pas démordu tant qu'elle n'avait pas dit tout ce qu'elle avait à dire. Cette garce avait mis encore plus de bordel dans ma tête. Avant cela, j'étais parvenu à me convaincre que mes choix, le concernant, était on ne peut plus professionnel. Elle avait rendu tout cela personnel et je n'aimais pas cela.

J'avouais que mon comportement, concernant Riley, à l'époque, n'était pas du tout normal, presque obsessionnel, mais je n'étais qu'une enfant avec un énorme besoin de sauver la terre entière. Tout était différent, aujourd'hui. J'avais grandi et je savais que je ne pouvais pas sauver tout le monde, même si j'essayais tout de même. Il avait été l'objet d'un changement majeur dans ma vie, certes, mais cela aurait dû s'arrêter là. Pourtant, le doute s'était installé en moi. Je ne savais plus de quoi étaient faites mes intentions. Cela était perturbant. Devais-je continuer à me questionner à ce sujet, quitte à me compromettre ? Ou devais-je laisser tout cela de côté, à défaut que cela en devienne une véritable torture mentale ?

Katie avait éveillé une chose qui n'aurait jamais dû voir le jour et cela m'effrayait. Qu'étais-je censé faire ?

Je m'étais engagé auprès de lui. Je m'étais battue pour lui. Je ne pouvais plus changer d'opinion quant au programme. Le plus dérangeant était que je ne le voulais pas... absolument pas. Faisant appel à toute ma conscience professionnelle, je tentais de me raisonner, malgré tout, en exigeant, de moi-même, d'arrêter de déconner mais la pensée avait sa propre volonté, de toute évidence. Elle le laissait s'introduire dans chaque parcelle de celle-ci.

Un coup d'œil à ma montre m'apprit qu'il n'était plus question de tergiverser. Il était temps pour moi de le récupérer en bas de l'immeuble avec ses valises et commencer ce pour quoi je m'étais engagé...

The spicy benefactress~Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant