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Au musée d'Histoire naturelle, tout le monde était réuni dans le foyer des Dieux, un vaste atrium bordé de deux alignements de statues blanches et terminé par un escalator s'élevant à travers un étrange globe de métal rouillé. Aone avait espéré que la réunion se tiendrait dans un endroit calme et qu'il n'aurait à parler qu'à une ou deux personnes. Au lieu de ça, il se retrouvait face à des rangées et des rangées de spectateurs qui le regardaient en se curant le nez, tels des écoliers attendant l'allocution du surveillant général.
Mais voilà, c'était comme ça avec Kai. C'était lui le chef et il fallait composer avec sa façon de faire, car pour rien au monde il n'aurait accepté d'en changer. Aone se disait qu'il y avait peut-être une raison derrière tout ça. Les trois quarts du temps, ces enfants, comme la plupart de leurs semblables, s'ennuyaient ferme. Bien sûr, faire pousser de la nourriture ou marauder pour en trouver réclamait du travail ; on pouvait aussi lire des livres ou discuter avec ses copains, mais, en gros, ça s'arrêtait là. Pas de matchs de foot, pas de jeux video, pas de télé ni de musique. Dans ces conditions, des réunions comme celle-ci constituaient une distraction en plus de fournir d'inépuisables sujets de conversations.

Aone connaissait Kai depuis le lycée. Quelques garçons de Rowhurst avaient atterri au musée : Chris Marker et Kwanele, Wiki et Arthur. Et c'était Kai qui les avait mis à l'abri ici. Avant cela, au bahut, il était totalement insignifiant. Le genre d'intello pour lequel Aone, lui-même du genre sportif, n'éprouvait que de l'indifférence, voire du mépris. Depuis, son jugement sur Kai avait changé du tout au tout. Il faut dire qu'il avait beaucoup appris depuis que l'épidémie s'était déclarée. Entre autres, que survivre demandait de nombreuses qualités, parmi lesquelles la capacité de réfléchir n'était pas la moins importante.
Kai était toujours aussi ringard et maniaque, mais il avait de l'autorité. Les gamins le respectaient et, de fait, lui obéissaient. Autant de choses qui ne s'appliquaient pas à Aone. Même les petites racailles d'Holloway avaient écouté sans broncher la fastidieuse litanie des besognes à venir : rotations au potager, menus, corvées de nettoyage... Jusqu'à l'archétype de la forte tête, un balafré du nom de Bokuto, qui était resté relativement silencieux pendant cet inventaire à la Prévert, se contentant de glisser ici ou là quelques mots à l'oreille des deux garçons qui gloussaient à ses côtés - un petit et un des biscornus, comme ils avaient eux-mêmes choisi de se dénommer. Aone pensait qu'Absinthe, l'adulte intelligent qu'il avait emmené ici avec lui, était bizarre, mais les biscornus battaient tous les records. Celui-là s'appelait Skinner, un nom particulièrement approprié pour quelqu'un dont le corps tout entier disparaissait sous des plis de peau flasque et molle.

Quoi qu'il en soit, quand Aone avait remplacé Kai à la tribune, le calme relatif qui avait prévalu jusque-là s'était rompu. Bokuto n'avait pas pu s'empêcher de lui couper la parole par quelques commentaires sarcastiques, avant de s'allonger sur sa chaise et bâiller de manière théâtrale. Moins blessants, les autres enfants s'étaient mis à discuter entre eux. Pas très fort. Mais suffisamment pour créer un bourdonnement qui avait fait complètement perdre le fil de son speech à Aone - si tant est que l'on puisse appeler un « speech » le monologue auquel il se livrait. C'était pourtant bien le mot que Kai avait employé au moment de lui passer la parole.
Aone n'était pas préparé à cela. Aussi avait-il très rapidement perdu son auditoire avec un récit heurté, sans vision d'ensemble. Il avait essayé d'expliquer que Shōyō était à la recherche de sa petite sœur, Natsu, partie ce matin même, si bien que Shōyō l'avait ratée de seulement quelques heures et qu'il devait donc partir lui-même à sa recherche. Après avoir ainsi radoté pendant cinq bonnes minutes, il s'était tu, faute de choses à dire. Au fond, existait-il une bonne manière de faire passer son message ? À savoir qu'il avait besoin de volontaires pour une mission dangereuse, qui plus est très probablement vouée à l'échec. Il n'y croyait pas lui-même, alors comment pouvait-il espérer convaincre quiconque ? S'il s'était trouvé dans l'assistance, il aurait lui-même ignoré son stupide discours.
Il était temps d'en finir. Il avait fait de son mieux.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant