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  Natsu pleurait. De bonheur ou de tristesse, elle n'aurait pu le dire. Tout ce qu'elle savait, c'est que ses joues étaient mouillées de larmes. Humilié et furieux, Golden Boy se précipitait vers Arno et le King, vitupérant à grand renfort de gestes véhéments. D'autres enfants ne tardèrent pas à descendre au pied de la tribune pour participer au débat. Arno leur parla un moment pendant que Sakusa continuait de tourner dans l'arène. Natsu était si fier de lui. Il était le champion des courses. Son héros.
  Finalement, Arno leva sa houlette et la foule fit silence. La fanfare se tut. Sakusa s'arrêta au centre de l'arène, à côté du garçon d'Ascot.

- Aux courses, il y a des règles, cria Arno. La première de ces règles est la suivante : tous les adultes doivent être tués. Sans exception. Alors, certes, celui-ci a montré qu'il était plus malin que les autres. Henry, si tu refuses de le faire, tu dois laisser ta place à quelqu'un d'autre.

  Le garçon d'Ascot secoua la tête.

- Henry, ton roi te l'ordonne. Cette chose doit mourir.

  Natsu prit conscience qu'elle courait, le long de la barrière, en direction du King. Saisissant Arno par la manche, elle le força à baisser son bâton. Il eut l'air à la fois surpris et contrarié.
  Natsu se tourna vers la tribune.

- Ce n'est pas une chose, cria-t-elle. Et ce n'est pas non plus un adulte. C'est mon ami. Un enfant, comme vous et moi. Vous le sauriez si vous vous étiez donné la peine de lui parler. Il est des nôtres. Vous devez me croire. C'est un garçon. Rien qu'un garçon.

  Arno se pencha vers elle et lui glissa à l'oreille :

- Retourne t'asseoir, petite fille. C'est moi qui commande ici. Et je sais ce que j'ai à faire, d'accord ?

- Non... vous... ne savez pas..., répondit Natsu en éclatant en sanglots.

- Putain ! s'exclama Lev en bondissant de son siège et en secouant Aone par l'épaule. C'est elle, Aone. C'est Natsu.

- Tu rigoles ?

- Carrément pas. Cette petite, là, c'est Natsu. On l'a trouvé, man.

  Aone se leva et, accompagné de Lev et Ebenezer, alla trouver Arno. Celui-ci relevait son bâton au moment où ils le rejoignirent.

- Minute ! cria Aone. Je crois qu'on devrait écouter ce que la petite a à dire.

  Natsu le fixait, bouche bée. Lev et Ebenezer s'approchèrent d'elle. Aone les laissa faire. Ils s'accroupirent à la hauteur de la fillette effarouchée, qui bafouillait en essayant d'expliquer ce qui se passait. Ayant reconnu Ebenezer, elle se jeta à son cou et l'embrassa chaudement. Aone sentait la situation glisser vers la confusion la plus totale. Les enfants quittaient leurs sièges. Les gardes enjambaient la barrière et convergeaient vers le jeune grunge, que Natsu désignait comme son ami. Son ami ! Ça avait l'air très important pour elle.

- Avec moi ! appela Aone.

  Lev le rejoignit aussitôt. Après avoir soulevé Natsu de terre, Ebenezer leur emboîta le pas. Pénétrant dans l'arène, Aone avisa Kita et ses archers, prêts à tirer.

- Baissez vos armes ! cria-t-il.

  Il hésitait. Personne ne savait plus quoi faire.

- Tu te souviens bien de Natsu ? appela Lev en se tournant vers lui. C'est bien elle, non ? Celle qu'on cherchait.

- Oh, mon Dieu, balbutia Kita avant d'enjamber la barrière avec quelques-uns de ses archers et d'aller rejoindre Aone au centre de l'arène.

  Un flot continu de mots jaillissait de la bouche de Natsu sans qu'Ebenezer et Lev soient toujours en mesure de comprendre. Se tournant vers Arno, Aone constata que cette fois, sentant la situation lui échapper totalement, il avait l'air furieux. Il fallait qu'il trouve une porte de sortie pour ne pas perdre la face. Les courses étaient importantes.

  Le cavalier à la gueule cassée, celui qui avait fait basculer l'épreuve, était la clé. Aone s'avança vers lui. Se pouvait-il qu'il ne soit qu'un enfant, comme le prétendait Natsu ? De près, il était encore pire. Son visage était en lambeaux. Un œil était rouge écarlate et aveugle. Mouillé et larmoyant, l'autre fixait Aone avec une intense lueur d'intelligence. Aone eut soudain l'impression que ce regard lui parvenait d'un passé lointain. Alors qu'il approchait de lui, le gars sauta à terre et se jeta dans ses bras. Pendant une fraction de seconde, Aone crut qu'il l'attaquait, avant de s'apercevoir qu'il était en pleurs. Aone se détendit. C'est alors que le type à la gueule cassée lui murmura un mot au creux de l'oreille. Un seul.

- Aone...

  À l'étonnement succéda la stupeur. Cette voix le ramenait mille ans en arrière. Éraillée et cassée, certes, mais indiscutablement la même. La voix d'un mort.
  Et puis ce mort se détacha de lui, remonta sur son cheval et chevaucha jusqu'à l'endroit où se tenaient Mad King et Arno.

- Je m'appelle Sakusa Kiyoomi, déclara-t-il, assez fort pour que tout le monde entende.

  Après un silence, il reprit, sa voix gagnant en puissance et en clarté à mesure qu'il parlait.

- J'ai dix-sept ans. J'étais à l'école à Rowhurst, dans le Kent et j'ai grandi à Slough. Je suis un gosse. Comme vous. Le sort a voulu que j'aie cette gueule. Désolé, mais va falloir vous y faire.

  Puis il tourna au centre de l'arène, leva haut les bras vers le ciel et cria en direction de la foule d'enfants.

- Je suis un mec comme un autre, ok ? Et plus jamais j'essaierai de prétendre le contraire.

  Tout le monde resta immobile, interdit, ébahi. Silencieux. Et puis une fille lança une poupée, quelqu'un d'autre un ours en peluche et bientôt une casquette de base-ball tournoya dans les airs, suivie d'une pluie de jouets et de vêtements.
  Aone fut surpris de sentir des larmes couler sur ses joues. Cela faisait presque un an que ce n'était pas arrivé.
  Et voilà qu'il pleurait à chaudes larmes, sans pouvoir s'arrêter.
  Après avoir retiré le grand tee-shirt blanc qui lui servait de casaque, il le tendit à Sakusa.

- Tiens, enfile ça !

  Sakusa comprit aussitôt et, quand ce fut fait, Aone et Kanji le hissèrent sur leurs épaules.

- Ascot ! hurlait Aone. Ascot est déclaré vainqueur !

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant