ENEMY Tome 4 : Les proies

66.

Ce jeune crevard au look grunge avait retenu l'attention d'Aone. Il était impressionnant. Plus petit et plus mince que les autres, sûrement le plus jeune des participants à ces joutes. Son visage était affreux, comme une poupée de chiffon bouffée par un chien. Racorni par les cicatrices. Il arrivait à Aone de s'apitoyer sur son sort quand il se regardait dans une glace. Il faut dire que Greg lui avait salement entaillé la joue et que, faute de soins dignes de ce nom, la blessure n'avait pas guéri comme elle aurait dû. Pourtant, comparé à ce jeune crevard, il avait presque un physique de mannequin.
Il était habitué à voir sur les adultes les ravages de la maladie qui bourgeonnait sous leur peau. Elle transformait leurs visages en ignoble pizza parsemée de furoncles purulents, de kystes et de plaies infectées et faisait pourrir les autres parties de leurs corps jusqu'à les faire tomber. Or, si ce crevard-là avait une des pires gueules qu'Aone ait jamais vues, il était aussi le meilleurs des guerriers. Non seulement il était rapide, mais en plus, il avait l'air intelligent.

Dans l'arène, le chaos était total. Beaucoup d'adultes erraient sans but, les bras ballants. D'autres, sans doute galvanisés par le comportement du jeune, se montraient plus agressifs et se lançaient dans des assauts meurtriers contre les enfants. De toute évidence, Golden Boy et les autres ne s'attendaient pas à rencontrer une aussi vive opposition. Le but de l'épreuve n'était autre que de permettre aux enfants d'étaler leurs talents de cavaliers et leurs qualités au combat avec une lance ou une épée. Tout était fait pour que le match soit à sens unique. Pourtant, ce jeune adulte l'avait transformée en quelque chose de totalement différent. C'était devenu une vraie compétition... pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Cet endroit avait été le théâtre de tant de courses au fil des ans ; tant de paris y avaient été gagnés et perdus. Quand Golden Boy avait mené les cavaliers dans l'arène, Aone avait été frappé de constater à quel point le rituel du jour faisait écho à celui du passé, à la parade des chevaux et des jockeys avant une course.
Cela dit, rien de semblable à ce qui se déroulait à présent dans l'arène n'avait dû se produire auparavant.

- Regarde comme il y va, s'enthousiasma Lev, assis à côté d'Aone. Un billet sur le crevard.

- Espérons qu'il rabatte un peu le caquet de ce con d'Himeji, dit Kanji.

Golden Boy attaqua un père plus âgé qui se trouvait en première ligne et lui trancha la moitié du visage. Le gars de Maidenhead s'était débrouillé pour récupérer sa lance et chargeait droit sur la meute. La foule s'écarta vivement, exposant soudain le jeune crevard. La fin de partie parut tout à coup aussi proche qu'inéluctable. Néanmoins, la petitesse de l'arène ne permettait pas au cavalier de charger à pleine vitesse. Sa victime eut donc le temps, in extremis, de dévier la pointe de la lance vers le sol, où elle se ficha profondément. Avec l'effet de levier, le cavalier fut soulevé de sa selle et bascula de côté. Si ses bons réflexes lui évitèrent la chute, il dut lâcher son arme pour se cramponner à l'encolure de son cheval, tel un noyé à sa bouée.
La parade de la proie tout autant que la cascade du chasseur suscitèrent d'immenses clameurs de la part de la foule en délire. Aone jeta un coup d'œil à Arno. C'était supposé être le triomphe du bien sur le mal, or voilà qu'un des démons gagnait les faveurs du public.
Il fallait que quelqu'un le tue, et vite.

Natsu essayait de se frayer un chemin jusqu'au premier rang de la tribune, mais tous les enfants avaient quitté leur siège et se pressaient contre la barrière en hurlant et en rugissant, poussant dans tous les sens pour mieux voir. Quelqu'un la bouscula et la fit tomber. Elle risquait de se faire piétiner.
Elle ne pouvait pas voir ce qui se passait dans l'arène, mais, à en juger par les réactions de la foule, c'était dingue.

- Laissez-moi passer, hurlait-elle. Laissez-moi passer !

Mais ils ne l'entendaient pas, ou l'ignoraient.