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Kanji était coincé au milieu d'un groupe compact de crevards. Ils l'avaient encerclé plus vite qu'il ne s'y attendait, l'empêchant de jouer de sa hache. Il en était réduit à s'en servir pour les repousser.
Il poussa de toutes ses forces en insultant copieusement ces charognes puantes et, enfin, il put respirer. C'est alors que le monde bascula et que sa tête explosa de douleur. Il avait reçu un violent coup sur le côté du crâne. Certainement un crevard armé. Il venait d'en voir un avec une barre de fer. Il vacilla sur lui-même, le cherchant du regard, craignant de s'évanouir pour de bon. Au lieu de cela, il vomit, ce qui sembla lui éclaircir les idées. Il n'eut pas le temps de se réjouir car il ressentit une terrible douleur au bras droit, un élancement froid et irrésistible qui lui fit lâcher son arme.
On l'avait frappé de nouveau, cette fois au biceps. Tout son bras était comme paralysé. Il pouvait à peine le bouger.
Saloperie de crevard, où est-ce qu'il était ?
C'est alors qu'il entendit une voix.

- Tu vas payer pour ce matin, crevure.

Kenton. Qui émergeait de la mêlée en faisant tournoyer sa massue dans les airs, un grand sourire barrant sa sale gueule tatouée. C'était lui qui l'avait frappé ? Il ramassa la hache que Kanji avait laissé tomber, de sorte qu'il brandissait deux armes, maintenant. Une dans chaque main.

- Et tu vas aussi payer pour l'autre jour, ajouta Josa en s'approchant de Kanji par-derrière. Cette caisse était pour nous.

- Ah, mince, je crois que j'ai oublié mon porte-monnaie, répondit Kanji en se déplaçant imperceptiblement afin de se donner un peu d'espace. Je crains de ne pas pouvoir vous payer tout de suite. Que diriez-vous d'un coup de pied au cul à la place ?

- Essaie un peu pour voir, répondit Josa en levant son épée, dont la lame scintilla dans le soleil couchant.

C'était du deux contre un et Kanji n'avait pas d'arme.
La seule chose sensée à faire était de fuir. On ne discute pas devant une lame. Les blessures à l'épée, c'étaient pas beau à voir. Merde - toutes les blessures étaient moches. Mourir d'une hémorragie, comme Issei, après une interminable agonie dans un lit puant, à regarder son caca s'épancher par les trous dans ses intestins ? Non merci.
Le problème, c'était que Kanji n'était pas un fuyard. Trop d'orgueil. Fuir maintenant eût été un aveu de faiblesse. C'était perdre la face. Combattre, voilà ce qu'il convenait de faire. Sans se poser de question. Écouter son instinct. Cet instinct qui faisait de lui ce qu'il était.
Un abruti, sans doute. Mais aussi un guerrier.
Et si cela signifiait de tomber au champ d'honneur.
Qu'il en soit ainsi.

Kenton était impressionnant avec ses deux armes. On aurait dit un ninja, un guerrier kung-fu ou un de ces persos qui déchirent comme dans World of Warcraft. Mais Kanji le revit aussi à Slough, quand il frimait en faisant tourner autour de son doigt son fusil à la con. Et aussi avec quelle facilité Lev le lui avait arraché des mains. Or, deux armes à la fois, c'était difficile à manier, encore plus lorsque l'une d'elle était aussi lourde que la décerveleuse. À vrai dire, le souci n'était pas Kenton. Le souci, c'était Josa.
Kanji avait grand besoin de quelque chose qui rééquilibre le rapport de force. Mais que pouvait-il faire ? Son bras le faisait souffrir le martyre. Quand bien même il aurait eu une arme sous la main, il doutait de réussir à s'en servir. De toute façon, il n'avait pas de temps pour ça. S'il tentait de récupérer une arme, Josa et Kenton lui sauteraient dessus comme des chiens sur un os.

Il eut une idée. Toutes sortes de choses pouvaient être utilisées comme des armes.
Et passa à l'action.
Il se précipita vers Kenton, attaquant son flanc gauche, celui-là même qui luttait pour soulever la décerveleuse. Cette rotation plaça Kenton entre Kanji et Josa. Celui-ci riposta par un pitoyable coup de hache dont seul le manche heurta mollement le dos de Kanji, sans faire de dégâts. Kanji était passé. Refoulant la douleur dans son bras, il agrippa Kenton à deux mains, par la chemise, et se colla à lui. Non seulement celui-ci ne s'attendait pas à ça, mais en plus, il avait les deux mains occupées, avant de réagir, il lui faudrait commencer par lâcher une arme. Mais Kanji n'avait aucune intention de le laisser réfléchir jusque-là. Les deux poings contre son torse, il le poussa de toutes ses forces contre Josa qui, faute de s'être déportée à temps, se retrouva forcée de reculer vers une grappe de crevards. Kanji continuait d'avancer, arc-bouté contre Kenton. Dès qu'il sentit que les deux perdaient l'équilibre, il donna une dernière bourrade qui les fit enfin tomber.

Avant qu'ils ne touchent le sol, Kanji attrapa la massue de Kenton et la retourna dans son dos. Comme il chutait à la renverse, celui-ci avait deux options : lâcher prise ou prendre le risque de se casser le bras. Kanji hâta sa décision en lui donnant un grand coup de pied au coude. Avec un cri de douleur, Kenton lâcha le gourdin. D'un bond, Kanji enjamba les corps et se mit en garde au-dessus d'eux, tous les sens en alerte. Josa ayant servi de matelas à Kenton, il fut le premier à se relever et à agiter maladroitement la hache. Kanji ne lui laissa aucune chance. Malgré l'affreuse douleur dans son bras, il leva le gourdin et l'abattit sur son adversaire.
En plein sur sa bouche. C'était comme écrabouiller une tomate bien mûre avec une batte de base-ball. Une giclée de sang rouge écarlate jaillit et Kenton s'effondra pour de bon. L'onde de choc se répercuta dans le bras de Kanji, lui arrachant un cri. Il tremblait, agité de spasmes.
Serrant les dents, il baissa les yeux sur son rival qui luttait pour se remettre à genoux en gémissant, la décerveleuse tombée à côté de lui, oubliée.

- Ben voila, s'exclama Kanji. Maintenant, vous faites la paire. Aussi édenté l'un que l'autre.

Sauf que Josa, qui s'était relevée, ne comptait visiblement pas en rester là. Tapie au-dessus du sol, elle avançait vers Kanji en brandissant sa lame. Anticipant l'attaque, celui-ci levait son gourdin du bras gauche quand deux pères lui mirent le grappin dessus. S'il n'avait pas eu aussi mal, il s'en serait sans doute débarrassé d'un coup d'épaule, mais là, il en était réduit à jurer et à se tortiller pour échapper à leurs crocs.
Josa s'approcha pour porter le coup fatal. Kanji était pile à l'endroit où elle voulait qu'il soit.
C'est alors qu'Aone apparut et que, presque aussitôt, Josa disparut du paysage. Victime d'un violent coup sur le crâne, elle s'affala. Sonnée. Aone ramassa la hache de Kanji, élimina les crevards qui étaient sur lui, puis leva l'arme contre Josa, qui tentait de se remettre debout.

- Maintenant ça suffit, grogna-t-il d'un ton coupant. On arrête.

Son visage balafré affichait une expression de fureur froide que même Kanji trouva effrayante. Beaucoup de gens commettaient l'erreur de penser qu'Aone était un gentil garçon qui ne ferait pas de mal à une mouche. Mais Kanji le connaissait assez pour savoir qu'il n'y avait pas que ça et que, si d'aventure Josa refusait d'obtempérer, il n'hésiterait pas à lui fendre le crâne en deux. Josa en était consciente, elle aussi. Ça se voyait sur son visage.

- Tu devrais même pas être là, dans l'arène, dit-elle.

- Depuis quand y a des règles ?

Aone n'avait pas terminé sa phrase qu'il pivota d'un quart de tour pour s'en prendre à une mère qui s'approchait d'un peu trop près, la tranchant presque en deux. Kanji vit passer un voile d'épouvante sur le visage de Josa. La peur d'être la suivante sur la liste.

- Ok. On arrête.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant