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  Natsu se trouvait dans le hangar à poulets. Et elle pleurait. Cet endroit d'habitude si bruyant et grouillant de vie était aujourd'hui envahi par un silence de mort. En arrivant, elle avait trouvé la porte ouverte. Le cadenas pendait au fermoir. Les clés étaient encore dessus. Les sœurs étaient venues et elles n'avaient même pas pris la peine de refermer derrière elles. Elles avaient donc laissé le champ libre aux chiens, qui avaient fait un vrai carnage. Rendus fous par cette manne, ils avaient certainement couru dans tous les sens en tuant tous les poulets passant à leur portée, en en mangeant quelques-uns au passage, mais en en laissant encore bien plus par terre.
  Morts.
  Natsu avait de la peine pour Scarface. Lui qui s'était donné tant de mal pour protéger tout ça... Et, pour finir, c'étaient les filles qui avaient tout gâché. Natsu ramassa quelques volatiles parmi les moins mutilés et les fourra dans son sac. Une manière de limiter un tant soit peu le gâchis.

  Elle sortit et récupéra les clés. Les retrouver avait été facile, pénétrer dans le corps de ferme serait sans doute une tout autre affaire.
  Les chiens étaient partis. Il ne restait plus un seul adulte vivant dans la ferme. Elle était seule, dorénavant. Elle marcha jusqu'à l'entrée de l'habitation, la clé à la main, et elle attendit, s'armant de courage pour ouvrir la porte. Durant tout le temps qu'elle avait passé avec Scarface, pas une fois il ne lui avait permis d'entrer, bien que lui aille subrepticement y faire un tour chaque soir. Dans sa tête, elle se préparait au pire. Il y avait quelque chose là-dedans. Quelque chose de mauvais. Pas uniquement l'incendie. Pire que cela. Elle le savait. Même si, en son for intérieur, elle avait du mal à imaginer pire que ce qu'elle avait vécu au cours des dernières heures - à tel point qu'elle était la première surprise d'être encore capable de marcher. En restant actif, on n'a pas une minute pour s'arrêter et penser à autre chose. Plus vite elle en aurait terminé, plus vite elle pourrait quitter cet endroit. L'odeur des cadavres était d'ores et déjà abominable, et cela ne ferait qu'empirer à mesure qu'ils se décomposeraient.

- Les chiens vont les manger, les mouches y pondront leurs œufs et leurs larves s'occuperont du reste, avait dit Scarface. Et elles propageront la maladie. Si on reste, on mourra.

  Natsu n'était pas encore habituée à l'entendre parler. Non qu'il soit très bavard. Sa voix était atrocement rauque, sèche et cassée, les mots donnaient l'impression de rester collés au fond de sa gorge.
  Jusqu'ici, il n'avait dit que cinq choses en tout et pour tout.
  Qu'ils ne pouvaient pas rester ici.
  Qu'il avait une solution de repli, un refuge, non loin de la ferme, et qu'ils allaient s'y rendre tous les deux, coûte que coûte.
  Que, remisé dans la cave de la ferme, se trouvait un kit de survie contenant tout ce dont ils avaient besoin pour tenir quelques jours.
  L'endroit précis où était caché le fameux kit.
  Enfin, l'ordre de ne surtout pas aller voir ailleurs dans la maison.
  Quand Natsu lui avait demandé si c'était dangereux, il n'avait rien répondu.
  Et ça s'était arrêté là.

  Voici où elle en était, alors qu'elle attendait devant le bâtiment dont les fenêtres étaient si obscures qu'elle se demandait si Scarface ne les avait pas condamnées. Cela faisait tellement longtemps qu'elle vivait à côté de cette bâtisse silencieuse, aux murs noircis, qui s'élevait comme une évidence au centre de la cour. Et pour la première fois, elle s'apprêtait à y entrer.
  Elle glissa la clé dans la serrure. Une infime pression suffit à actionner le pêne. La porte pivota sur ses gonds. Un bruit sourd se fit entendre, venant de l'intérieur, une sorte de bourdonnement, comme celui d'une machine. Natsu frissonna. À croire que la maison était vivante.
  Elle ouvrit la porte en grand, s'avança et frotta machinalement ses pieds sur le paillasson. Le bruit était partout, maintenant. Il l'entourait. Un air moite et chaud s'échappait par l'ouverture, accentuant encore le sentiment d'avoir affaire à un être vivant. Une terrible puanteur régnait à l'intérieur, mélange d'humidité et de renfermé. La moquette de l'escalier disparaissait sous une épaisse couche de champignons vert-de-gris. D'autres colonies de moisissures s'étiraient le long des murs, comme du lierre.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant