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- Inutile de te dire que j'ai décampé sans demander mon reste. Ne sachant que penser de moi, les gamins d'Arbour Vale ne m'ont pas calculé et je me suis enfui dans les hauteurs de l'entrepôt par une échelle, jusqu'au toit, où je me suis planqué dans les entretoises de la charpente pour assister à la bataille. C'était pas beau à voir. Beaucoup de blessés, certains si gravement qu'ils étaient condamnés d'office. Quel gâchis ! Les voir ainsi s'entretuer. Heureusement pour moi, j'avais pu y échapper.
  » Ensuite, les renforts de Tyler sont arrivés et les Arbour Vale sont partis en courant, emportant avec eux tout ce qu'ils pouvaient. Tyler s'est comporté comme s'il avait remporté une grande bataille. Il se pavanait d'un bout à l'autre de l'entrepôt en se cognant la poitrine des deux poings en hurlant. Le prince de la bouffe avariée...

  » Il a laissé des gars pour surveiller la place vingt-quatre heure sur vingt-quatre. En gros, ils squattaient un petit bureau près de l'entrée principale. Pour le reste, l'entrepôt était occupé par des rangées et des rangées de chambres froides, assez grandes pour que l'on puisse s'y tenir debout. Une série de congélateurs géants, quoi. Quand l'électricité a été coupée, ils ont mis hyper longtemps à dégeler. Donc si la majeur partie de la nourriture était avariée, malgré tout, pour les moins difficiles, il en restait plein qui était encore comestible ; et aussi beaucoup d'eau, provenant des dizaines de kilos de glace fondue. Je me suis trouvé une planque dans une sorte de vide sanitaire et, les jours suivants, c'est là que j'ai vécu. Je sortais de ma cachette la nuit, quand les gardes étaient endormis et je descendais chaparder de quoi manger et boire. À aucun moment ils ne se sont aperçus de ma présence, les cons. Je mangeais ce que je pouvais trouver. Juste assez pour rester en vie.

  » Le jour, je passais l'essentiel de mon temps à dormir. La nuit, je partais en exploration. Je visitais les arrières salles où je ramassais tout ce qui pouvait m'être utile. J'ai ainsi trouvé tout un pot de sacs en papier, dans lesquels je faisais mes besoins. Ensuite, je balançais le sac par un vasistas pour effacer toute trace de ma présence. Pour tout te dire, j'étais un peu bizarre, à l'époque. J'avais trop longtemps été la chienne de Tyler. Sans oublier que la fièvre continuait de me causer des hallucinations. Je voyais des trucs dans le noir. Des bestioles qui parlent. Mes sœurs. Y avait des pigeons là-haut, avec moi, qui batifolaient et qui nichaient. Eh bien je leur parlais. Je m'imaginais qu'on était devenus amis. Durant quelques jours, j'ai cru que j'étais mort. Que j'étais plus qu'un zombi. Que mon corps était en train de pourrir. Heureusement, j'ai jamais complètement perdu les pédales, à imaginer que je pouvais voler ou un truc comme ça. Je me suis maintenu en vie. En vie, mais zarbi.

  » Je m'amusais aussi à jouer de vilains tours à Tyler. Je sortais sur le toit et je l'attendais. Il venait tous les jours pour organiser la collecte de bouffe. Enfin, « organiser », c'est un bien grand mot. Je devrais plutôt dire brailler sur tout le monde en roulant des mécaniques. C'est limite s'il se la pétait pas encore plus que d'habitude. Tu penses, il avait repoussé la bande d'Arbour Vale et se retrouvait à la tête de la plus grosse réserve de bouffe du coin. Dommage pour lui, j'avais trouvé un coin hors de vue où j'avais qu'à me mettre en planque avec un sac de merde en attendant qu'il passe en dessous. Deux fois je l'ai eu en pleine tronche. Une vraie douche au caca. C'est puéril, je sais, mais j'en ris encore aujourd'hui. C'était drôle ! T'aurais vu sa gueule. Il est devenu complètement maboul. Ce con a jamais compris d'où ça pouvait venir. Si ça se trouve, il a cru que c'étaient des pigeons géants qui lui avaient chié dessus.

  » Enfin bon, j'avais beau le détester comme jamais j'avais détesté quelqu'un, j'étais pas prêt à le tuer. J'en rêvais. Je me voyais le faire. Mais de là à franchir le pas...
  » Finalement, ce sont les gars d'Himeji qui lui ont réglé son compte. Quand j'y pense, ça aurait pu durer une éternité s'ils s'étaient pas pointés. C'était la faute de Tyler. Il s'était tellement vanté de son butin que le bruit s'est répandu. Himeji n'est pas si loin de Slough. C'est pour ça qu'un matin, tandis que Tyler faisait le tour de ses sujets, un cri a retenti : « Les Himeji ! Les Himeji arrivent ! »
  » En effet, ils remontaient la rue. Un groupe important, lourdement armé, en formation serrée, soutenu par trois gros pick-up qui fermaient la marche. En tête du cortège, juchés sur des chevaux, avançaient deux gamins habillés en doré.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant