ENEMY Tome 4 : Les proies

47.

Alors qu'ils regagnaient la voiture, Brooke ne tarissait pas de remarques plus ou moins désobligeantes concernant les gamins du coin. Lev ne semblait pas affecté. Il avait lâché prise et était pour ainsi dire passé à un autre niveau. Supérieur ou inférieur ? Aone n'avait aucun moyen de le savoir.
Kanji et Ebenezer étaient fous furieux. Ils fulminaient d'avoir été traités de la sorte, juraient et accablaient les coupables des pires insultes possibles.
Et dans ce domaine, ils ne manquaient pas de ressource.

- Moi je dis qu'on devrait faire sauter quelques têtes, gronda Kanji.

- Ils sont trop nombreux, fit remarquer Aone. Et excuse-moi, mais ils ont pas l'air de dégonflés. Non, ce serait idiot d'y aller frontalement. À mon avis, si on veut obtenir quelque chose d'eux, il vaut mieux la jouer fine.

- Si c'est ça, on va y perdre la journée, répondit Kanji. Il fera bientôt nuit et je doute qu'ils nous offrent l'hospitalité.

- Tu crois que je t'ai attendu pour comprendre ça ? cria Aone qui avait fini par perdre son sang-froid. Tu crois que ça m'amuse de rester planté là pendant qu'ils font leur cinéma ?

- On aurait jamais dû venir ici, dit Ebenezer.

- Merci pour le conseil, Ebenezer, mais c'est un peu tard pour les regrets. Et faut pas croire non plus qu'on va pouvoir s'en tirer si facilement.

- Aone a raison, dit Lev. J'ai bien observé le portail et il y a toujours au moins deux gardes dans le mirador et deux autres au sol, qui gardent l'entrée.

- Fais quand même demi-tour, dit Aone en se forçant à reprendre son calme. Comme ça, au pire, on pourra toujours foncer droit sur le portail. Maintenant, essayons de voir ensemble ce qu'on peut trouver.

Ils prirent donc place dans la voiture et discutèrent des différentes options qui s'offraient à eux. Toutes les suggestions de Kanji impliquait un usage immodéré de la violence. Aone préférait régler le problème sans qu'il y ait de blessés, quand bien même l'envie de trancher la tête de Josa avec sa faucheuse le taraudait. Finalement, en tant qu'adepte de la discrétion, c'était Lev qui avait les meilleures idées, ou du moins celles qui s'accordaient le mieux à la façon dont Aone voyait les choses.
La nuit tombait et ils étaient toujours en pleine discussion quand Kenton tapa du poing sur le toit de la voiture.

- Vous voulez discuter ? cria-t-il. Eh bien discutons.

Aone sortit en premier, les jambes ankylosées et le dos en compote. Il s'étira et fit quelques mouvements pour détendre ses articulations. Lev fut le second à sortir de la voiture. Après s'être éloigné d'un pas traînant, il urina longuement dans les hautes herbes. Kanji en profita pour prendre sa place au volant, pendant qu'Ebenezer se glissait dehors par la porte opposée, sans que personne lui prête la moindre attention.
La dernière à émerger du véhicule fut Brooke. Après avoir ouvert la porte coulissante, elle s'assit sur le marche-pied et regarda Kenton en silence.

- Alors, qu'est-ce que vous avez pour nous ? demanda Aone d'un air enjoué.

- Bah, un peu de tout. Patience, cousin. Josa arrive.

- Ah, tant mieux. J'en peux plus d'attendre.

Kenton avait le sentiment d'avoir cerné Aone. À ses yeux, il n'était sans doute qu'un petit-bourgeois insignifiant qui avait voulu jouer au dur avec un plus costaud que lui et qui en avait payé le prix fort en se faisant salement taillader la tronche.
Kenton ne s'en faisait pas. Il avait son fusil à canon scié avec lui. L'air faussement détaché avec lequel il le portait et la façon qu'il avait de le faire tourner autour de son doigt, comme si c'était un jouet, avec le don d'agacer Aone. En effet, le message était clair : il avait un flingue, et lui n'en avait pas. Point barre.
Aone et Lev ne portaient pas d'arme, même si certaines se trouvaient à portée de main, sur la galerie de la voiture. Ils voulaient à tout prix éviter de provoquer les enfants d'ici.
Josa arriva, entourée de sa cour, imbue d'elle-même. Jouissant de la situation, elle se pavanait sur le parking, riant et plaisantant avec ses gardes du corps.