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Aone reconnaissait le jeune aux cheveux noirs, Akaashi. En revanche, les trois autres ne lui disaient rien. Il y avait là un jeune garçon à la bouille toute ronde ; un type à l'air gentillet avec des cheveux argentés qui portait des bouts d'armure de samouraï ainsi qu'un katana ; et, enfin, une fille plus jeune, au teint pâle. Cachée derrière des cernes noirs, elle fixait Aone d'un œil craintif, les lèvres pincées. Celui-ci nota qu'elle portait un épais registre relié de cuir sous son bras et qu'elle restait collée à Akaashi qui, d'un geste protecteur, l'avait prise par l'épaule.

- Qu'est-ce qui vous amène ? demanda Aone en essayant de ne pas prendre un ton trop agressif. Vous venez agiter vos mouchoirs ou proposer de nous accompagner ?

- Je serais bien venu avec vous, répondit Akaashi, mais j'ai promis de veiller sur Lettis.

Joignant le geste à la parole, il serra la fillette contre lui. C'est à ce moment-là seulement qu'Aone réalisa de qui il s'agissait. Il avait entendu son histoire. Partie en expédition avec tout un groupe, elle en était l'unique survivante. Une histoire d'église où tous les autres avaient trouvé la mort. C'est Akaashi qui l'avait sauvée et apparemment, depuis, elle ne le quittait plus.

- Après ce qu'elle a subi, il est hors de question qu'elle participe à une expédition, dit Akaashi. En revanche, Ebenezer, ici présent, voudrait en être.

- J'aime pas ici, confirma ce dernier avec un fort accent. Trop de choses mortes dans des bocaux. Et puis les biscornus. Leur présence me dérange. Ils sont inconvenants. Pas justes.

Aone devait bien admettre que les gamins que Kuroo avait ramenés de sa dernière expédition le mettaient lui aussi un peu mal à l'aise.

- C'est pas leur faute, argua Akaashi. L'épidémie les a touchés alors qu'ils étaient encore dans le ventre de leurs mères.

- C'est bien ce que je dis, répliqua Ebenezer, ce sont des mutants.

- Pas du tout. Ce sont des enfants, comme nous.

- Dis-moi, Ebenezer, tu faisais partie de l'expédition de Kuroo ? demanda Aone, pressé de changer de sujet.

- Ouais. Et je serais prêt à y retourner s'il le fallait. J'ai pas peur. J'ai vu à quoi il fallait s'attendre.

- Ebenezer est plutôt efficace avec un javelot, dit Akaashi, et il connaît Natsu depuis Holloway.

Aone se tourna vers le dernier membre du groupe, qui semblait être ailleurs.

- À qui ai-je l'honneur ?

Le garçon se retourna vivement vers lui.

- Lev, répondit-il en s'ébouriffant les cheveux. J'voudrais en être. J'ai eu l'occasion de faire connaissance avec cette gamine pendant le voyage qui nous a menés ici. Elle est courageuse comme tout. Je l'aime bien. Je le fais pour elle, et aussi pour le petiot. Shōyō. Il assure. Rester en vie après tout ce qu'il a traversé. Trop la classe. Je viens.

Aone esquissa un sourire. Il était d'autant plus heureux que, comme le lui avaient confié plusieurs personnes, sous ses airs simple Lev était un guerrier farouche. Ils se saluèrent, poing contre poing.

- Donc, si je me trompe pas, ça fait qu'on est six, dit Aone en comptant sur ses doigts. Pas vraiment une armée, mais de toute façon, la voiture n'a que six places assises. Vous êtes prêts à partir tout de suite ?

Ebenezer acquiesça d'un signe de tête, Lev d'un haussement d'épaules.

- J'aurais espéré pouvoir persuader Bokuto, poursuivit Aone. Apparemment, il est pas facile à gérer, mais de ce que j'ai entendu, il a aussi beaucoup de qualités.

- N'y compte pas, dit Akaashi. Il viendra jamais avec vous.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Je le sais, c'est tout.

- Je croyais qu'il avait peur de rien.

- C'est le cas, répondit Akaashi en l'entraînant discrètement à l'écart.

Dès qu'ils furent assez loin pour que les autres ne les entendent pas, il ajouta :

- Bokuto, c'est comme moi et Lettis.

- Comment ça ?

- Eh bien, tu vois le petit qui le quitte pas d'une semelle ?

- Comment ne pas le voir ? Il est tout le temps là.

- Le gamin s'appelle Tadashi. On l'a récupéré en chemin. À Green Park, pour être précis, où il vivait dans un camp tenu par un vrai psychopathe. Tadashi a profité de l'occasion pour venir avec nous. C'est un sacré petit dur à cuire, mais comme beaucoup d'enfants, il n'est pas aussi blindé qu'il veut le faire croire.

- Mais encore ?

- Je crois qu'il a vécu des moments difficiles, dans ce fameux camp. N'empêche qu'il a dû tout abandonner pour venir avec nous. Aujourd'hui, Bokuto est comme un père pour lui. Il le protège. Tous deux faisaient partie de l'expédition d'Heathrow, avec ce que ça implique de peurs et de scènes d'horreur. Depuis qu'ils sont rentrés, Tadashi fait des cauchemars terribles. Tout le monde fait comme si de rien n'était, mais personne n'est dupe. D'ailleurs, faudrait être sourd pour pas l'entendre, quand il se réveille en pleine nuit en poussant des cris. Chaque fois, c'est Bokuto qui le réconforte. Il voudrait faire croire qu'il a un cœur de pierre, mais sous la carapace... Il aimerait aussi faire croire que la décision de ne pas t'accompagner vient de lui alors qu'en fait, il veut surtout protéger Tadashi. Il sait que son protégé serait incapable d'affronter une nouvelle mission de terrain et qu'en cas de coup dur, il serait un vrai handicap pour le groupe. Exactement comme Lettis et moi, au fond... et aussi, j'imagine, comme Shōyō et toi.

- Hum, marmonna Aone en caressant sa cicatrice. Écoute, Akaashi, tu me parais avoir la tête sur les épaules. Est-ce que tu pourrais garder un œil sur Shōyō pendant que je suis parti ? Je voudrais pas qu'il tente un truc idiot. Il s'est déjà fait la belle une fois.

- Pas de problème. Tu peux compter sur moi. En attendant, j'en reviens pas que cette crevette ait pu traverser Tokyo sans y laisser sa peau.

- Traverser la ville, et le reste ! répondit Aone en riant. Ah j'te jure, ce gamin, c'est un phénomène. Tu savais qu'il y a même un groupe d'enfants qui vit dans la cathédrale Saint-Paul et qui croit que Shōyō est une sorte de dieu ?

Akaashi éclata de rire.

- J'irais peut-être pas jusque-là.

- Un jour je te raconterai, répliqua Aone, tu verras, c'est sidérant.

Un coup de klaxon l'interrompit.

- Alors, ça vient ? hurla Kanji, penché à la fenêtre.

Tandis que tout ce petit monde rejoignait la voiture, Lev glissa à l'oreille d'Aone :

- C'est lui qui conduit ?

- Soit lui, soit Issei. Les deux prétendent qu'ils savent. Pourquoi ? Tu sais conduire ?

- Un peu.

Aone annonça la nouvelle aux autres et, aussitôt, les trois apprentis conducteurs se disputèrent pour savoir qui prendrait le volant. Finalement, il fut décidé de juger sur pièce et tous trois firent successivement la démonstration de leurs aptitudes sur Cromwell Road, la route qui passait devant le musée. Crâneur, Kanji mit pied au plancher et épata tout le monde par son manque de maîtrise. Issei prit sa place et fit le chemin dans l'autre sens. Lui, c'était l'inverse. Trop de prudence, de nervosité et de trac. Issei était plutôt grand, la mine chiffonnée et les cheveux en bataille. Il était bon tireur et possédait une vue exceptionnelle, mais l'humilité n'était pas son fort et il lui arrivait souvent de se voir plus beau qu'il n'était en réalité.
Et à l'évidence, il n'était pas doué pour la conduite.
Lev s'étant révélé le meilleur compromis, Aone lui confia le volant. Kanji râla jusqu'à ce qu'Aone lui dise de la fermer et le débat fut clos.
Ils étaient enfin prêts à partir.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant