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Kanji embrassa l'arène du regard. Son père l'avait emmené à Ascot, une fois. Il se souvenait très bien d'être venu ici pour assister à la présentation des chevaux, ce rituel d'avant course au cours duquel les parieurs essaient de jauger les pur-sang sur lesquels ils s'apprêtent à miser. Son père en avait profiter pour étaler sa science, parlant de « modèle » pour décrire le physique des chevaux, leur poids, leur musculature, leurs capacités...
Autant de connaissances qui ne l'empêchaient pas de parier sur les mauvais numéros et d'y laisser ses économies chaque fois.
L'arène avait un tout autre usage aujourd'hui. Quand Kanji avait entendu en quoi consistait l'épreuve, il avait supplié Sean de le laisser y participer. Au départ, c'était le gros Green qui était censé faire équipe avec Sean, mais Kanji voyait bien qu'au fond il était très heureux de lui céder sa place.

En revanche, Kanji ne comprenait pas pourquoi le gars à la tête rasée qui fichait la trouille à tout le monde et qui collait aux basques du King comme de la glue ne participait pas aux épreuves, à la place des gens comme Green ?

- J'sais pas, répondit Sean. La seule épreuve à laquelle il participe, c'est le Tournoi Royal, et encore, seulement la dernière partie. C'est comme ça, c'est tout. D'ailleurs, personne lui pose la question. Pour la simple et bonne raison que personne lui parle vraiment. Il est ce qu'il est. Il a sa façon de faire. Même son nom, on le connaît pas.

- Ah bon ? Et vous faites comment pour l'appeler ?

- On l'appelle pas. Comme je t'ai dit, il est ce qu'il est.

Kanji était surexcité. C'était presque un tournoi moyenâgeux. Un truc tout droit sorti de Game of Thrones. Depuis son plus jeune âge, il avait toujours eu un faible pour les histoires de chevaliers, le Seigneur de anneaux et tout ça. Un Noël, il avait reçu un château fort Playmobil. Il se demanda bien où il pouvait être maintenant. Il aurait adoré pouvoir le sortir de sa boîte, le monter, et jouer une nouvelle bataille. Mais là, c'était encore mieux. Tous ces enfants qui arrivaient à Ascot avec armes et armures, à cheval. Les courses, les combats. Dommage qu'il n'y ait pas de joutes. Il pourrait peut-être leur suggérer l'idée, pour la prochaine édition.
Non qu'il ait la moindre chance d'être présent. Voilà bien longtemps qu'il serait rentré à Tokyo à ce moment-là, qu'il serait de retour à la Tour. Pourquoi ne pas proposer à Kenji Futakuchi d'organiser ses propres courses ? Un tournoi à eux ?
Ça serait trop cool.

Kanji était dans son élément, ici. Il aimait combattre. C'était aussi simple que ça. Au combat, tous les autres problèmes cessaient d'exister. Tout se résumait à avoir le dessus, quoi qu'il arrive. Il avait les idées claires quand il se mesurait à un adversaire. C'était quand ça s'arrêtait que tout redevenait compliqué. Confus. Difficile.
Il jeta un coup d'œil à l'arène et avisa Josa et Kenton. Ils devaient l'avoir mauvaise après ce qui s'était passé le matin. Il fallait juste espérer qu'ils ne tentent rien de stupide. Kenton avait une massue et Josa une épée à lame étroite.
Soudain, Kanji prit conscience du silence de la foule. Arno se tenait debout à côté de Mad King et de ce bon vieux Boule-à-zéro, l'homme sans nom. Arno leva son long bâton, tel Gandalf sur le pont de Khazad-dûm, et le King vociféra quelque chose d'inintelligible.

- Son Altesse Royale ! embraya Arno. King Zinzin le Quatre-vingt-dix-neuvième, ainsi que votre serviteur et toutes les personnes rassemblées ici vous rendent grâce, nobles guerriers. Oui, grâce vous soit rendue, bêtas sublimes, pantins décérébrés, qui êtes prêts à souffrir pour notre plaisir. Dans un instant, nos drôles de musiciens claironneront un air déglingué au son duquel vous assassinerez le croquemitaine !

Sur ces mots, il abaissa sa houlette d'un geste théâtral. Trompette et trombones se mirent à mugir, les tambourins à tinter, les tambours à cogner, accompagnant l'ouverture des portes de l'arène.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant