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  Filtrant des grandes fenêtres de la salle commune, la lumière pleuvait sur les visages sereins des personnes âgées, les auréolant d'un hall argenté. Certaines dormaient, d'autres discutaient, lisaient ou, simplement, restaient assises, perdues dans leurs pensées. Une image de paix et de calme.
  Aone avisa Dot, la sœur d'Amélia, assise un peu à l'écart. Elle regardait par la fenêtre en marmonnant tandis que ses doigts pinçaient distraitement les bras de son fauteuil.
  C'est alors que ça le frappa. Il manquait quelqu'un.

- Où est Amélia ? demanda-t-il. Je ne la vois pas.

- Ah..., répondit seulement le Dr Norman, assis à une table libre, sans doute trop fatigué pour rester plus longtemps debout.

  Aone et les autres prirent place à ses côtés. Illuminée par les rayons du soleil, sa peau paraissait pâle et diaphane, et ses yeux délavés, comme dépolis. Ses cheveux étaient clairsemés, d'une finesse extrême. Dessous, les contours de son crâne et le réseau des veines bleutées se dessinaient clairement.

- Elle a attrapé un rhume, dit-il. Puis c'est tombé sur les bronches et enfin sur les poumons. Pneumonie. J'ai fait ce que j'ai pu. Je lui ai donné des antibiotiques, mais ça n'a pas suffi. Je suis désolé. Elle vous aimait beaucoup. Elle a demandé après vous juste avant de...

  Aone poussa un soupir et se prit la tête à deux mains. Décidément, les bonnes choses s'accompagnaient toujours de mauvaises.

- Sa sœur ? demanda-t-il. Dot ?

- Elle décline rapidement. C'est notre lot à tous.

  Trio posa la main sur l'épaule d'Aone.

- Elle nous a appris beaucoup avant de nous quitter. Tout ce qu'elle savait. Et le Dr Norman aussi, d'ailleurs, dit-elle en lui adressant un large sourire qui le fit rougir comme un jouvenceau. Il prétend qu'il a tout oublié, tout perdu, mais c'est faux. Il a encore toute sa tête.

- Nous avons transmis notre savoir à la nouvelle génération, dit le docteur. Nous sommes les derniers représentant du monde ancien. Bientôt, nous aurons tous disparu. Cet endroit ne sera plus peuplé que de fantômes. Tout ce à quoi aspirent la plupart d'entre nous, c'est de s'asseoir au soleil une fois encore. Derrière ces murs, le monde est effroyable. À croire que chaque génération laisse derrière elle une pagaille que la suivante est chargée de nettoyer.

- On va devoir y aller, dit Aone.

- Comment, vous ne restez pas déjeuner ?

- Merci, répondit Aone en secouant la tête, mais il faut que l'on retourne à Tokyo.

- Il nous faut un peu de temps, objecta Trey. Histoire de ramasser nos affaires. Et puis il y a aussi le matériel qu'Amélia nous a autorisés à prendre. Bref... Deux, trois trucs à faire... Faut que... y a une araignée sur le mur...

- Quoi ? dit Aone en se tournant vers lui.

  Ses paupières tressautaient, ses yeux roulaient dans tous les sens.

- Kuroo, Bluetooth... Kunimi... Kunimi peut les compter tous... Mon hélicoptère... mon aéroglisseur... y en a trois... œil de cristal... ils ont pris œil de cristal... je suis fatigué de me battre...

- Ça va ? demanda Brooke bien qu'il parût évident que, non, Trey n'allait pas bien.

  Trio aussi s'était comme... éteinte. Les paupières closes, elle dodelinait de la tête. Et puis les yeux de Trey se révulsèrent et sa tête bascula en avant. Le docteur l'aida à s'allonger sur la table.

- Ça arrive de plus en plus souvent, dit-il. Mister Three est très agité, ces derniers temps. Si seulement ce qu'il disait était un peu plus compréhensible, ça nous aiderait.

  Sans surprise, Mister Three, jusque-là recroquevillé dans le dos de Trinité, commença à se déplier et à sortir de sa torpeur. Ses gros yeux globuleux s'ouvrirent et il frissonna, se secouant comme un chien qui fait un mauvais rêve.
  Soudain, il se mit à crier :

- Partez ! Partez tout de suite ! Avant qu'il soit trop tard !

  Il avait dit ça en agitant frénétiquement ses petits bras et en dévisageant les enfants de ses yeux fous.

- Vous devez partir immédiatement ! Y a pas une minute à perdre. Il faut vite retourner à Tokyo, pour aider les autres ! Les autres ! Ils sont en grand danger ! Vous devez les aider ! Vite ! Ils se font tuer, massacrer... Shōyō ! Shōyō ! Ils s'en prennent à Shōyō ! Au secours ! À l'aide ! Ils l'ont tué, aidez-nous ! Ils l'ont tué...

  Sa voix prit des accents encore plus déments, se muant en un long cri perçant.

- Tout de suite ! Partez ! Partez ! Partez !

À suivre...

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant