ENEMY Tome 4 : Les proies

69.

Le voyage de retour jusqu'à la maison de retraite sembla être avalé en un rien de temps. En dépit des efforts que faisait Aone pour refouler ses appréhensions, il redoutait ce qu'ils allaient y découvrir. Vu la ruée de crevards de l'autre soir, on pouvait craindre le pire. Heureusement, l'endroit était bien protégé, il était donc probable que s'ils étaient passés par là, les adultes aient contourné l'obstacle et simplement longé le mur d'enceinte.
Après tout, peut-être que c'était un de ces jours où la chance vous sourit et où tout vous réussit.
Si seulement...

C'est vrai que tout avait bien commencé. Un convoi de véhicules et de chevaux avait quitté Ascot : des enfants de Slough, de Sandhurst, de Bracknell et d'Himeji, Kita et ses archers pour Ascot. Seul Maidenhead avait refusé l'offre d'Aone.
Le soleil brillait et ils n'avaient pas croisé un seul crevard depuis qu'ils avaient quitté Ascot. Pas même une sentinelle. Pour un peu, on aurait pu s'imaginer que tout était fini et que les crevards étaient tous morts ou partis.
La journée se présentait sous les meilleurs auspices. Une date à marquer d'une pierre blanche. Si tout se passait bien, s'ils étaient en nombre suffisant, alors peut-être que le jour béni évoqué par Aone viendrait.
Il avait passé la nuit précédente à essayer de rattraper le temps perdu avec Sakusa. Il avait du mal à réaliser que son ami était encore vivant et qu'ils se retrouvaient après tout ce temps. Au début, Aone craignait qu'il ne lui en veuille de l'avoir abandonné lors de la fuite de Rowhurst. Mais non. Sakusa avait dit qu'il comprenait. Tout laissait croire qu'il avait été tué par les adultes. Aone n'avait aucune raison de se sentir coupable. Ensuite, Sakusa lui avait raconté son histoire, et puis Aone en avait fait de même. L'occasion pour lui d'égrener la triste liste des amis morts ou disparus. Il y avait tant à dire, tant à raconter. Mais ils auraient le temps. Oui, Aone l'espérait de tout son cœur, ils auraient le temps.

La seule chose à laquelle Aone avait du mal à se faire, c'était la correspondance entre la voix de son vieux copain d'école, quasiment inchangée, et ce nouveau visage... totalement ravagé. Mais il finirait par s'y habituer. Tous deux étaient assis à l'arrière de la Chrysler avec Natsu, qui semblait entretenir un lien très profond avec Sakusa. Kanji et Lev étaient à l'avant ; Brooke et Ebenezer sur les fauteuils du milieu. Tout le monde parlait, enthousiaste, nerveux.
Lorsqu'ils arrivèrent devant l'allée qui conduisait à la résidence des Hêtres, Aone demanda à Lev de s'arrêter et sortit de la voiture. Le reste du convoi stoppa derrière eux, long de près de cent mètres. Aone s'avança vers le véhicule de tête du clan Sandhurst, un vieux pick-up tout cabossé avec quinze gamins entassés à l'arrière, et fit signe au chauffeur de baisser la vitre.

- Attendez-nous là, dit-il. On ne sera pas long. Si on y va tous, ils risquent d'avoir une crise cardiaque.

- Pas de problème, répondit Dara. Je préviens les autres. À tout de suite.

Aone remonta dans la Chrysler et ils s'engagèrent dans le parc. Tout semblait normal, même si, ça et là, des signes indiquaient un certain désordre. Des feuilles jonchaient le sol, des branches étaient cassées, un peu comme après le passage d'une tempête. Oui, les crevards étaient peut-être passés par là.
  Attends de voir, Aone. Attends de voir. Si ça se trouve, c'est juste le vent.
Ils s'arrêtèrent sur le parking devant la résidence et Aone sortit prudemment de la voiture. Le souvenir de leur première arrivée ici, avec le passager clandestin caché sur le toit, était encore présent à son esprit. Presque par superstition, et bien qu'il ait conscience que son geste était stupide, il vérifia la galerie du toit. Rien.

- Alors ? dit Lev, lui aussi sorti de la voiture, qui observait une à une les fenêtres de la maison.

Aucun dommage apparent. Ni bris de glace, ni signes d'effraction. Aone évalua le mur du jardin. De toute évidence, celui-ci était bien trop haut pour que les crevards aient pu l'escalader.