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Ebenezer était censé s'être caché dans les hautes herbes qui bordaient la clôture et avoir fait discrètement le tour du bâtiment.
Avait-il réussi ? Difficile à dire. En tout cas, jusqu'ici, Aone n'avait rien entendu. Aucun cri d'alerte. Cela signifiait qu'il n'avait pas été repéré. Aone s'accrochait à cet espoir comme un naufragé à sa bouée car, sans l'aide d'Ebenezer, ils n'y arriveraient sans doute pas. Ce n'était qu'une question de temps avant que les enfants de l'école ne trouvent le courage de se rassembler et de charger. Kenton était vraiment fou de rage. Il marchait à leur hauteur d'un pas raide en les insultant sans relâche, sans pour autant avoir le cran de tenter quoi que ce soit pour essayer de récupérer son arme. Il avait toutes les cartes en main, et pourtant, il avait tout gâché. Non seulement il passait pour la dernière des andouilles, mais en plus, il mettait sa boss dans de sales draps.

De son côté, Josa poursuivait sur sa lancée, noyant Aone sous des insultes plus fleuries les unes que les autres et ordonnant à ses gars d'intervenir. Estimant en avoir assez entendu, Aone resserra l'étau autour de son cou, étouffant dans l'œuf ses jérémiades.
Si Aone et sa bande réussiraient à s'en tirer, l'ambiance risquait d'être mauvaise à l'école, ce soir.
Allez, Ebenezer. Action !
Finalement, il y eut un cri. Aigu et strident. Aussitôt suivi d'un autre, et d'un autre. La foule compacte commençait à se disperser. Un vent de panique soufflait dans les rangs.

C'est alors qu'Aone vit Ebenezer débouler en courant, un javelot dans chaque main. Pourtant, personne ne tentait de l'arrêter. Non, leur attention était ailleurs.
Le plan qu'Aone et les siens avaient élaboré était tout simplement draconien, mais les gars d'ici, qui s'apprêtaient à jeter Aone et ses amis dehors en pleine nuit, sans voiture ni protection, l'avaient bien cherché.
Les cris et les hurlements redoublèrent. Les enfants couraient dans tous les sens, certains en direction du danger, les autres vers l'école. Les guerriers se regroupaient. Une menace autrement plus importante qu'Aone et Lev planait.
Les crevards.
Ebenezer avait ouvert l'enclos.
Aone commençait à les voir débarquer, de leur pas raide et buté, à l'autre bout de la route menant au portail. Il relâcha son étreinte sur Josa. Son rôle s'arrêtait là.

- 'Tain ! Qu'est-ce que vous avez fait ? s'égosilla-t-elle d'une voix éraillée.

- Simple diversion, répondit Aone en riant. À ta place, j'irais vite prendre les choses en main car t'es copains m'ont pas l'air de trop gérer.

- Leur faites pas de mal ! hurla Josa. On en a besoin pour les courses. Leur faites pas de mal. Rassemblez-les !

- Tu veux aller les aider ? répéta Aone.

- Lâche-moi, connard.

- Seulement si tu ordonnes à tes gars de pas tirer. Sinon, on t'emmène avec nous.

Mais l'avertissement d'Aone était superflu, les guerriers de l'école étaient trop absorbés par les crevards pour se préoccuper d'autre chose.

- Lâche-moi.

- Si quelqu'un tire, je répondrai, prévint Lev.

- Lâche-moi !

Aone la poussa violemment, l'envoyant bouler à plus de trois mètres. Après avoir évité la chute d'un cheveu, elle se précipita en hurlant de ne pas faire de mal aux fuyards.
Aone et Lev sautèrent à bord de la voiture en marche, Brooke les hissant à l'intérieur, tandis que Kanji accélérait en direction du portail. Les gardes étaient toujours en place, à ceci près qu'Ebenezer les tenait en respect avec ses javelots. Alors que la voiture approchait de la grille, Lev bondit en brandissant son fusil.

- Ouvrez le portail, ordonna-t-il d'un ton qui n'avait plus rien d'amical.

Les enfants bataillèrent un instant avec le cadenas et s'exécutèrent. Aussitôt, Ebenezer et Lev remontèrent à bord du monospace, qui passa le portail en trombe.
Un unique carreau d'arbalète ricocha sur le toit, sous les acclamations moqueuses des occupants. Aone se retourna sur son siège et regarda par la vitre arrière. Les gardes hurlaient en faisant de grands gestes dans leur direction, des gamins leur lançaient des pierres ou des javelots.

- Ah, les cons, lâcha Ebenezer. Y se sont fait avoir comme des bleus.

- Heureusement pour nous, répondit Aone, sans quoi on y serait encore.

Ils roulèrent jusqu'à la M4 où Kanji s'arrêta et rendit le volant à Lev à contrecœur.
Tout du long, Kanji n'avait cessé de répéter : « Je m'en suis bien sorti. Franchement, j'ai assuré. » Aone avait beau lui répondre qu'en effet, il avait assuré, Kanji était en boucle, peut-être dans l'espoir qu'on lui confie les commandes du monospace.
Aone étudiait la carte à la lueur de la liseuse. Il n'avait pas idée de l'heure qu'il pouvait être. C'était carrément vicieux de la part de Josa de les avoir fait poireauter jusqu'à la nuit.

- Où on va, patron ? demanda Kanji.

- Je crois qu'on va devoir retourner à la maison de vieux.

- Quoi ?

De bruyantes récriminations envahirent la voiture.

- On a pas le choix, argua Aone. Il est tard, il fait nuit. On a qu'à se dire qu'on a récolté pas mal d'informations sur les autres colonies et que c'est déjà ça.

- Ouais, on va dire ça, répondit Brooke d'un ton amer. Si j'ai bien compris, y a six groupes dans le coin. Himeji, Slough, Sandhurst, Maidenhead, Bracknell et Ascot. Et ils se détestent tous.

- Raison de plus pour pas se pointer en pleine nuit, fit remarquer Aone. Donc, on retourne chez Amélia et on retente notre chance demain... ailleurs qu'à Slough, évidemment. On fera comme si cette journée n'avait jamais existé.

- Merde, grogna Kanji. Tout ça pour ça ? On peut pas trouver autre chose ?

- Quoi ?

- Je suis d'accord avec Aone, intervint Lev. On ira nulle part en roulant comme ça, de nuit, au pif. On recommencera demain. À la lumière du jour.

Kanji jura. Au bout du compte, il finissait toujours par se ranger du côté d'Aone, donc, malgré ses ronchonnements, ils empruntèrent la M4 en direction de l'ouest avec l'idée de prendre la première sortie. Au-dessus d'eux, une lune rousse scintillait dans le ciel.

- Dans moins de dix minutes, on sera au chaud, dit Aone pour essayer de réconforter Kanji.

Bientôt, ils quittèrent l'autoroute et s'engagèrent sur des petites routes de campagne, jusqu'à ce qu'Aone aperçoive quelque chose dans le faisceau des phares.
Décidément, la nuit allait être plus longue que prévu.

- Génial, marmonna Lev. Manquait plus que ça.

- Quoi donc ? demanda Brooke en se penchant entre les sièges avant.

Un peu plus loin, un groupe de crevards bloquait la route.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant