Le chasseur

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19.

- Le soir où je vous ai trouvés, j'étais en chasse. Sur la piste d'un groupe d'adultes qui m'avait mené jusqu'à la rivière. J'en ai tué la moitié. Le reste s'est enfui.

Sortant des ténèbres, la voix de Sakusa n'en paraissait que plus faible et éraillée.

- J'étais sur la berge du fleuve, sous l'autopont. Je me suis assis par terre et j'ai commencé à regarder l'eau. Elle était sombre, d'un noir d'encre. Peu à peu, le doute m'a envahi. À quoi bon ? je me disais. À quoi bon continuer à faire ce que je fais ? Nuit après nuit, jour après jour, les traquer et les exterminer, les uns après les autres ? Le pire, c'est que je suis plutôt bon à ce jeu-là. Je suis le chasseur. Mais je voyais plus l'intérêt. Mon corps tout entier criait grâce. Je n'étais plus qu'un amas de chair qui tenait à peine debout. Et puis j'en voyais plus la fin. Je commençais à me dire que jamais plus je retrouverais une vie normale. J'étais un animal. Un chien banni de la meute. Je pouvais plus approcher des enfants, mais j'étais pas non plus un adulte, malgré mon apparence. À quoi bon s'accrocher à la vie si celle-ci se résume à un chemin de croix ?

» J'étais à deux doigts de me jeter dans le fleuve. J'y songeais sérieusement, me voyant déjà couler, avalé par l'eau noire, sombrant dans les abysses. La fin de tout. Le Walhalla. Et puis j'ai aperçu un adulte. Un de ceux que je pistais depuis des jours et qui n'arrêtait pas de me filer entre les doigts. Une belle enflure. Redoutable. Hideux. Alors, je me suis dit : si au moins j'arrive à tuer celui-là, j'aurai fait une bonne action avant de mourir. Un peu comme un chien qui peut pas s'empêcher de courir après le bâton.
» Alors je l'ai suivi. Et il m'a emmené jusqu'au pont de l'île aux Singes. J'ai tout de suite su qu'il y en avait d'autres là-bas, parce que je les flairais. En fait, je les sens. Il m'arrive même de croire que j'arrive à les entendre, à l'intérieur de mon crâne. Qui jacassent. Qui couinent. Qui marmonnent. C'est sans doute moi qui me fais des idées, ou qui deviens cinglé. Pour autant, je savais qu'ils étaient nombreux et qu'eux aussi étaient en chasse. Il y avait de l'électricité dans l'air. Ça sentait le sang, la curée. De toute évidence, ils avaient trouvé des enfants. Je savais au moins ça. Donc j'ai traversé le pont et je suis entré dans l'hôtel. Y en avait un dans le hall, près de la réception. Une mère. Qui mangeait quelque chose. Je l'ai liquidée en moins de deux et puis j'ai grimpé l'escalier, en suivant une trace de sang. J'en ai trouvé deux autres dans le couloir. Ils avaient ton copain, le petit garçon.

- Kei, précisa Natsu, la gorge serrée.

- Quoi ? C'est comme ça qu'il s'appelait ? Enfin, bref, toujours est-il que je les ai abattus tous les deux et que j'ai essayé de porter secours au gamin. C'est alors que tu as déboulé en trombe à l'angle du couloir. J'ai dû te flanquer une trouille bleue parce que dès que tu m'as vu, tu t'es évanouie. Comme si t'es batteries étaient à plat. Et là, je me suis de nouveau senti investi d'une mission. Vous couvrir. Tous les éliminer pour vous sauver la vie à tous les deux. Et aussi à tous ceux que j'avais peut-être pas encore vus. Malheureusement, je me suis vite rendu compte qu'il n'y avait pas d'autres enfants - du moins encore en vie -, donc je vous ai transportés dehors, le garçon et toi.
» Je suis désolé qu'il soit mort. J'ai fait tout ce que j'ai pu. J'ai tué jusqu'au dernier adulte. Et puis... Ben, après ça, j'allais quand même pas me jeter dans le fleuve ? Je pouvais pas t'abandonner à ton triste sort, seule au milieu de nulle part, sans personne pour veiller sur toi. Alors je t'ai amener ici. J'avais jamais laissé quelqu'un entrer dans mon antre auparavant. Je pensais te remettre sur pied et puis te conduire à Himeji ou Bracknell. Te laisser aux seuil d'une maison.

Sakusa s'arrêta et fit un drôle de bruit. Natsu s'aperçut qu'il riait. Durant un moment, il ne dit rien. Voyant qu'il tardait à reprendre, elle lui glissa, en lui pressant la main :

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant