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Un père s'avança dans l'arène en titubant, traînant derrière lui un long tuyau de métal. Perdu, confus, il clignait des yeux dans la lumière, son corps à moitié nu disparaissant sous une constellation de kystes, de furoncles et d'entailles sanguinolentes. Sentant qu'elle commençait à la lancer, Aone passa le doigt sur sa cicatrice. Il haïssait les crevards, les détestait plus que tout au monde. Il n'avait d'ailleurs jamais éprouvé le moindre scrupule à les massacrer.
Alors pourquoi, cette fois-ci, avait-il le sentiment que c'était différent ?

- Je ne suis pas certaine de vouloir assister à ça, dit Brooke.

- Laissez-moi vous rappeler la règle d'or de cette épreuve, tonna Arno depuis le siège voisin de celui du King. Précisément. Il n'y a pas de règle ! C'est la guerre. Et tous doivent mourir.

Derrière le premier père en vinrent deux autres, puis une mère, et puis tout un groupe, que les gardes d'Ascot se chargeaient de conduire en enfonçant dans les reins des plus lents la pointe de leurs lances. À la fin, un troupeau d'une trentaine voire d'une quarantaine de têtes se pressait dans l'arène. Certains adultes, à l'image du premier père et de son tuyau de plomberie, étaient armés d'objets contondants, mais la majorité n'avaient que leurs ongles et leurs dents pour se défendre.
La porte se referma derrière eux. Pour ces adultes, la seule issue possible était la mort.
Les gladiateurs se tournèrent vers Mad King et le saluèrent en levant leurs armes.

- Gloire à toi, toqué César ! cria Arno. En ton honneur, ces braves vont faire couler le sang de ces salopards, ce sang qui nous rendra plus forts et qui nous permettra de remporter toutes les batailles jusqu'aux prochains jeux. Maintenant allez-y, mes frères. Pour le King. Le roi du chaos. Que le mal soit mis à mort et que le cool triomphe. Vous qui êtes sur le point de mourir, nous vous saluons !

Mad King bascula la tête en arrière et hurla à la mort vers le ciel, son cri bientôt repris par tous les autres enfants, à la façon d'une meute de loups. C'est alors que l'armoire à glace du clan Sandhurst marcha vers les crevards d'un pas décidé et qu'il tailla en pièces le premier à coups d'épée en rugissant.
Aone était à la fois horrifié et fasciné. À son côté, Brooke se cachait les yeux à deux mains telle une petite fille devant Doctor Who. Aone nota que le public était légèrement plus clairsemé. Certains enfants avaient choisi de ne pas assister au massacre.

- Tu veux t'en aller ? demanda Aone en se tournant vers Brooke.

- C'est dégueu. Et pas dégueu marrant. C'est dégueu dégueu. Jamais j'aurais pensé que je pourrais avoir pitié d'eux. Mais, là, c'est mal.

- Si ça garantit la paix..., répondit Aone d'un ton hésitant, ne sachant trop quoi dire d'autre. Si ça évite que ces enfants ne se fassent la guerre entre eux...

- C'est top, intervint Lev. Trop dégueu. Dégueu dans le bon sens du terme !

Il n'avait pas terminé sa phrase que, comme la moitié du public, il bondit de son siège pour saluer le geste de Josa, qui venait de trancher net le bras d'une mère. Aone n'avait jamais vu Lev aussi enthousiaste.
Dans l'arène, c'était un massacre en règle. Difficile de suivre l'action tant la mêlée était intense. Les enfants couraient dans tous les sens en tailladant les adultes, en les écharpant, en les plantant, en les saignant. Et ceux-ci ripostaient comme ils pouvaient. On aurait dit une pitoyable bande de dégénérés rabougris, rendus débiles par la maladie et souffrant de la lumière du jour. Malgré tout, ils se battaient comme des djinns, en rodant par petits groupes.

Aone avait beau s'être très souvent retrouvé au milieu d'une bataille, il n'avait jamais été spectateur d'aucune. Ça faisait bizarre. Il se disait que les gens aimaient le spectacle de la violence, depuis les Romains qui jetaient les chrétiens aux lions, jusqu'aux films gore, en passant par les exécutions publiques du Moyen Âge et les trucs atroces sur Internet.
Le massacre qui se déroulait sous ses yeux n'en était pas moins choquant. Le gazon rougissait du sang versé.
Ceux qui étaient restés pour regarder jubilaient. C'était la revanche. Une contrepartie malsaine pour tout ce qui s'était passé cette année.
Aone chercha Kanji dans la confusion.
Ne le trouvant pas, il se tourna vers Lev.

- T'as pas vu Kanji ?

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant