17.

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  La pièce était pleine de têtes. Une montagne de têtes. Minutieusement empilées. Celles qui se trouvaient à la base du tas étaient réduites à l'état de squelette du fait du dessèchement des tissus. Mais plus on grimpait dans les couches supérieures, plus elles étaient fraîches. De fait, dans celles qui se trouvaient au sommet, Natsu reconnaissait des adultes qu'ils avaient chassés ensemble. Non qu'aucun adulte mort ait jamais eu l'air « frais » - et pour cause, puisque la plupart étaient déjà pourris jusqu'à la moelle et à moitié nécrosés de leur vivant.
  Un épais tapis de mouches grouillait sur le monceau de crânes, eux-mêmes envahis d'asticots qui se tortillaient dans les globes oculaires ou sortaient des cavités buccales en frétillant. Pâles et luisants. Insatiable gloutons. Sans parler d'un autre détail scabreux. Ce liquide grisâtre qu'elle avait vu dégouliner du sac de Scarface. De longs filets suintaient des têtes du haut, recouvrant celles qui se trouvaient en dessous.

  Natsu avait fermé la porte. Elle n'avait rien vu. Voilà ce que elle se dit. Ce n'était pas réel. À la faveur d'une porte ouverte, elle jeta furtivement un coup d'œil dans une autre chambre et découvrit un spectacle similaire. La maison en était remplie. Remplie de têtes. Elle avala sa salive et sentit la bile remonter de nouveau dans sa gorge. Après tout, ce n'étaient que des têtes. Des sales têtes d'adultes.
  Non... La maison était vide, tu te rappelles ? Une ferme ordinaire. Entièrement vide. Elle n'avait rien vu...
  Elle descendit rapidement l'escalier, attrapa le barda et le traîna dehors, prenant soin de bien fermer la porte derrière elle. La maison pouvait garder ses secrets.
  Quand enfin elle revint auprès de lui, Scarface semblait dormir. Pourtant, elle n'était pas arrivée qu'il ouvrit un œil et la regarda fixement.

- Boire, dit-il.

- Ok.

  Elle alla chercher une bouteille en plastique dans le stock de la grange et lui versa l'eau directement dans la bouche. Sa tête à lui n'était guère différente de celles qu'elles avait vues dans le ferme. D'autant que nombre d'entailles fraîches s'ajoutaient aux cicatrices qu'il portait déjà. Il lui manquait tellement de morceaux qu'on aurait pu croire que les asticots s'étaient déjà occupés de lui. Son œil esquinté semblait ne plus s'ouvrir du tout. Tant mieux. Elle n'aimait pas cette gélatine morte et sanguinolente.
  Quand il eut suffisamment bu, Natsu avala à son tour une longue gorgée, puis s'assit à côté de lui.

- Comment on va faire ? demanda-t-elle. Je ne peux pas te porter toi, plus le sac, plus tout le reste ? À ton avis, tu peux marcher jusqu'où ?

- Pas loin. Et toi ?

- Pas loin non plus. Je suis exténuée.

- C'est à cinq minutes. Dans les bois. Tu vois l'arbre qui a été fendu en deux par la foudre ?

- Oui. Je crois.

- Cinq minutes.

- À condition de pouvoir marcher normalement, nuança Natsu. Ce dont tu es incapable.

- On va procéder par étapes. D'abord tu t'occupes du sac. Tu l'avances de vingt, trente mètres, et, ensuite, on y va nous.

- Hors de question, répondit Natsu. J'peux plus rien faire pour l'instant. Tu me prends pour qui ? J'suis pas en bois, tu sais ?

- Moi je pense que tu es un héros. La fille la plus courageuse au monde.

- Bah, tu dis ça...

- Tu sais, Natsu, ça va bientôt faire un an que je n'ai pas prononcé un mot. Alors tu penses bien que je ne vais pas gaspiller ma salive avec des mensonges. Emmène-nous au refuge et tu pourras dormir mille ans. Quand tu te réveilleras, tout ira bien.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant