15.

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- Non, m'man, non ! C'est moi, Natsu... !

Mais sa mère ne l'écoutait pas et continuait de la pourchasser, les ongles telles des serres, qui cherchaient à l'énucléer.

- Maman, non, je t'en prie... !

Elle s'éveilla en sursaut. L'odeur du sang et de la fumée lui chatouillaient les narines. Elle avait les membres engourdis d'être restée trop longtemps dans la même position, recroquevillée en chien de fusil, la tête appuyée contre le mur. Durant un moment, ne sachant trop où elle était, elle lutta pour effacer de sa mémoire la dernière partie du rêve. Encore sous le choc, elle essayait de se convaincre que rien de tout ça ne s'était réellement passé. Mais qu'était-il arrivé vraiment ? Où était-elle ?
Et puis, soudain, tout lui revint. Une douloureuse gifle qui acheva de la réveiller.
Les toilettes. La grange. La bataille.
Elle se pencha en avant et jeta un coup d'œil dehors à travers le trou dans la porte.

C'était le matin. Le soleil était levé. À peine. Un nuage de fumée flottait dans l'air. Rien d'autre ne bougeait. Le sol de béton de la grange était jonché de cadavres faisant comme un épais tapis de couleur sombre. Quant à savoir si des enfants se trouvaient parmi cette masse, Natsu ne pouvait le dire.
Elle tendit l'oreille. Calme plat. Le bruit des adultes, cette vague qui se fracassait sans fin, ce ronflement sourd et chuintant, n'était plus. L'armée avait dû poursuivre sa route.
Cela signifiait... ?
Qu'elle était seule ?
Elle attendit et attendit encore, trop terrorisée pour oser ouvrir la porte, ne sachant ce qu'elle allait découvrir derrière. L'idée d'être l'unique survivante lui était insupportable. Elle aurait préféré être morte.

C'est alors qu'elle vit du mouvement. Quelque chose qui émergeait de la pile de cadavres. Un corps. Elle retint son souffle. Ça semblait se déployer, éclore, comme un film en accéléré de la croissance d'une plante, comme si une jeune pousse était en train de sortir de cette montagne de chair morte. Qui que ce fût, il était couvert de sang, de la tête aux pieds. Une épaisse couche noire et collante. Il était tordu, déformé, cassé mais, d'une manière ou d'une autre, il bougeait encore.
Scarface.
Natsu reprit son souffle. Elle était sur le point de lui crier quelque chose quand elle avisa un autre mouvement. Deux personnes descendaient de l'échelle menant au toit.
Arrivés en bas, ils traversèrent lentement la grange, s'approchèrent de Scarface et lui glissèrent quelques mots. À travers la porte, Natsu n'entendait pas ce qui se disait. Il secoua la tête. Natsu remarqua qu'il tenait ses deux poignards. Ils étaient noir cramoisi. Louisa dit autre chose et Scarface secoua de nouveau la tête. Et puis Natsu s'étrangla en voyant Sonya lui assener un coup de matraque sur la nuque. Il s'effondra la tête la première. Les deux sœurs se penchèrent sur lui et le fouillèrent. Soudain, Sonya poussa un cri de triomphe et se redressa, tenant à bout de bras un gros trousseau de clés.
Elles se dirigèrent à grands pas vers la porte principale et sortirent dans le soleil du matin.

Natsu remonta précautionneusement le loquet de la porte et l'entrebâilla. Puis elle passa la tête dans l'ouverture et vérifia que tout allait bien. Elle redoutait de voir les filles. De voir des adultes. Encore en vie. Il y avait plus de morts que ce qu'elle aurait pu imaginer, entassés les uns sur les autres, à certains endroits sur trois couches. Des monceaux de cadavres. Elle se félicitait qu'il y ait de la fumée, car cela couvrait en partie les pires odeurs. Celles des corps éventrés.
Elle s'approcha de Scarface, qui gisait là où il était tombé, au sommet d'un tas d'adultes. Elle le palpa, le secoua, puis se pencha pour coller son oreille devant sa bouche, dans l'espoir d'y déceler un souffle. Ensuite, elle posa la main sur sa poitrine et y sentit une infime pulsation cardiaque, si ténue qu'elle se demandait même si ce n'était pas son propre pouls. Non. Sa poitrine bougeait. Il était encore vivant. L'arrière de son crâne était profondément entaillé. Son sang se mélangeait à celui dont il était couvert.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant