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Il leur fallut du temps pour trouver d'où provenait cette fameuse fumée. D'abord, les arbres bouchaient la vue, Lev avait donc le sentiment qu'ils avaient pas mal tourné en rond. Et puis, pas facile de se faire une idée de la distance qui les séparait du panache de fumée quand aucune route n'était droite.
Le ruban d'asphalte qu'ils suivaient traversait une épaisse forêt. Impossible de vérifier de visu s'ils allaient dans la bonne direction. Ils n'avaient d'autre choix que de se fier à leur sens de l'orientation. Quand enfin, ils croisèrent une route et qu'ils quittèrent le couvert des arbres, ils se retrouvèrent devant un haut mur percé d'un portail, au-delà duquel s'étirait une voie privée. Le portail était totalement défoncé. Une voiture avait enfoncé un des montants et abattu la grille. L'accident avait dû provoquer un incendie, car la pancarte qui devait indiquer à quoi conduisait l'allée était entièrement brûlée et noire de suie. Les restes calcinés de deux squelettes étaient encore visibles sur les sièges avant.

- Tu parles d'un accueil, dit Issei. Super engageant. C'est quoi, ça ? Les portes de l'enfer, ou quoi ?

- Non, si c'était l'enfer, il y aurait un chien à trois têtes à côté de la porte, répondit Trio.

- Ouais, et tu sais de quoi tu parles, marmonna Ebenezer.

- Qu'est-ce que tu dis ? répliqua Trio, visiblement pas très contente du commentaire.

- Rien, rien.

- Ah, je croyais ! Une personne plus sensible que moi aurait pu penser que tu faisais un commentaire suggérant que nous avions trois têtes...

- Je voulais pas vous blesser.

- T'inquiète. C'est la règle de trois, dit Trey.

- Oh, pitié, commence pas avec ça, coupa Trio.

- Cerbère, le chien à trois têtes, poursuivit Trey. Ou bien la Chimère, une tête de lion, une tête de serpent à la place de la queue et une tête de chèvre qui lui sort du dos. Ou encore les trois Furies, les trois Nornes, la Morrígan, Hécate. La Sainte Trinité. Fais ton choix. Tu voudrais qu'on soit quoi ?

- Je vois pas de quoi tu parles, répondit Ebenezer.

- Mon non plus, dit Lev. En attendant, je fais quoi ? J'y vais ou j'y vais pas ?

- Vas-y ! répondit Aone en tapant du poing sur le tableau de bord.

L'allée serpentait au milieu des arbres. Les herbes folles et les fleurs sauvages avaient tellement poussé qu'il ne restait plus qu'un étroit passage. Au bout de l'allée, se trouvait une vieille maison de maître, des cheminées de laquelle s'échappait de la fumée.

- Drôle d'enfer, dit Kanji, à moins que le diable qui habite ici ait demandé à son majordome de lui faire rôtir quelques pêcheurs pour le souper.

Lev avança la voiture jusque devant la maison où se trouvait une grande aire de stationnement envahie par la végétation. Il tourna la clé, éteignit le moteur, puis étudia la bâtisse. Elle était haute de trois étages, majestueuse, pour ne pas dire pompeuse, avec un grand perron carré à six colonnes. Une sorte de version miniature de Matsumoto. À ceci près que les murs peints en blanc étaient crasseux et striés de noir.
Des volets, des stores et des villages occultaient toutes les fenêtres de la façade. Aucune lumière ne semblait briller à l'intérieur. Impossible de dire s'il y avait quelqu'un ou pas. En attendant, si on avait demandé à Lev de se trouver une planque dans le coin, c'est sans doute le genre d'endroit qu'il aurait choisi. En effet, la bâtisse paraissait massive et solidement construite. Le parc qui l'entourait était ceint d'un faux mur de briques, les abords de la maison étaient entièrement dégagés, aucun angle mort n'aurait permis à un ennemi d'approcher sans être vu. Le seul truc, c'est que s'il avait vécu ici, il aurait réparé le portail. Alors à quoi fallait-il s'attendre ?

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant