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Comme souvent, c'est la dernière partie du trajet qui fut la plus pénible. Le terrain inégal, conjugué à l'épuisement consécutif aux efforts déjà fournis, eut presque raison d'eux. Natsu dut bien vite abandonner la brouette, car la pousser dans le sous-bois était tout bonnement impossible. La seule solution était de traîner le barda sur le sol, de faire quelques mètres, puis de rebrousser chemin pour aider Scarface à avancer d'arbre en arbre jusqu'à l'endroit où elle avait abandonné le sac. Et ainsi de suite, encore et encore...
Il y parvinrent toutefois et atteignirent bientôt l'arbre foudroyé, son gros tronc gris fendu en deux par le milieu, mais toujours vivant. Scarface se laissa tomber et s'assit sur le sol. Natsu embrassa le bois du regard. Aucun signe d'un quelconque refuge ou d'une quelconque planque. Elle chercha partout, dans les buissons, dans l'ombre du sous-bois, dans les branches des arbres, en priant pour qu'ils n'aient pas à grimper ni à escalader. Rien. Pourtant, quand elle se tourna de nouveau vers Scarface, elle le trouva en train de farfouiller dans un tas de feuilles mortes et de brindilles.

- Ah, voilà, dit-il. Aide-moi. J'y arrive pas.

Natsu s'approcha et vit qu'il avait dégagé une sorte de trappe, fabriquée à partir d'une porte provenant sans doute d'un des bâtiments de la ferme. Elle était couverte de terre, de feuilles et de pierres. À eux deux, ils la soulevèrent juste assez pour que Natsu voie qu'il y avait une cavité en dessous. D'abord, elle poussa le sac dans l'ouverture, puis elle aida Scarface à se glisser à l'intérieur. Après s'être laissé tomber au fond du trou, celui-ci trouva la force de soulever le battant pour que Natsu puisse entrer à son tour. Un minuscule tunnel partait du puits. Ils y rampèrent jusqu'à atteindre une sorte de terrier, à peine assez grand pour les accueillir tous les deux.
Natsu alluma sa torche. Ils se trouvaient au beau milieu des racines d'un arbre qui formaient une cage autour d'eux. Des boîtes et des sacs étaient coincés entre les racines, à côté de trous d'animaux qui partaient à l'horizontale.

- À l'origine, je pense que ce sont des blaireaux qui l'ont creusé, dit Scarface en se laissant tomber sur un vieux matelas. Ou peut-être des renards. En faite, j'ai juste eu besoin d'en agrandir un, en pensant qu'un jour ça pourrait être utile. Faut toujours anticiper.

Sa voix était si fable, un râle rauque et sec. Natsu braqua sa torche sur son visage.

- Qu'est-ce tu fais ? grogna-t-il en fermant vivement son œil.

- C'est pas beau. Faut que je refasse ton bandage.

- Dans le sac.

Elle alla le chercher, ouvrit le rabat et commença à le vider. Incroyable, tout ce qu'il pouvait y avoir là-dedans : des armes, des outils, des vêtements, de la nourriture, de l'eau. Arrivée à la moitié du contenu, elle dénicha une trousse de secours.
Elle nettoya soigneusement les blessures de Scarface à l'aide d'un tampon imbibé d'antiseptique, après quoi ils burent un peu d'eau et mangèrent en silence quelques carrés de chocolat blanchis.
Comme elle commençait à trembler, Natsu s'étendit au côté de Scarface et s'enroula dans une couverture en attendant que les frissons s'arrêtent. Puis elle ferma les yeux, espérant trouver le sommeil.
Après quelques minutes, elle ouvrit les paupières et pointa la torche vers le plafond. De petites racines blanches, telles des doigts, ou des griffes, sortaient de la couche de terre au-dessus de sa tête.

- Économise la torche, conseilla Scarface.

Elle éteignit la lumière. Il faisait de nouveau tout noir. Et elle tremblait de plus belle. Scarface chercha sa main à tâtons et la serra dans la sienne.

- Merci, dit-il.

- J'arrive pas à dormir, répondit Natsu. Je pensais que j'allais tomber dans une sorte de coma dès que je fermerais les yeux et pourtant, là, j'arrive pas à trouver le sommeil. C'est comme si j'étais branchée sur secteur.

- Moi pareil, répondit Scarface.

- Raconte-moi une histoire.

- Quelle histoire ?

- Ben, la tienne, par exemple. Je ne sais rien de toi. T'as dit que t'étais pas un adulte, mais t'es quoi, alors ?

- Je veux bien te le dire, mais à une condition : que tu ne le répètes à personne.

- À qui veux-tu que j'en parle ? Y a personne ici, à part peut-être un lièvre ou une taupe.

- Pas même aux taupes.

- Promis.

- Bien.

- Alors vas-y, t'es qui ?

- Je m'appelle Sakusa Kiyoomi. J'étais au lycée à Rowhurst. J'ai dix-sept ans. Et les trois quarts du temps, je regrette de pas être mort...

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant