41.

11 3 0
                                    

La lune était haute dans le cadre dessiné par la fenêtre de la chambre. Seulement masquée par un voile de nuages, elle éclairait la pièce d'un fantomatique halo gris. Quelques étoiles étaient visibles malgré la couverture nuageuse, pourtant, il y avait quelque chose de vaporeux dans la nuit, qui brouillait le contour des choses. Brooke se demanda combien d'enfants observaient comme elle l'astre de la nuit en ce moment même.
Si l'espace éthéré attirait son attention, c'est qu'elle avait les pires difficultés à penser à ce qui se passait ici bas, dans cette pièce où Issei agonisait. Ce bon vieux (très vieux) Norman avait fait tout ce qu'il avait pu, mais Issei avait perdu beaucoup de sang. Une infection s'était déclarée. Et le médecin ne disposait pas des médicaments susceptibles de la vaincre. Issei était brûlant, sa peau couverte de taches. Il était fiévreux et dormait la plupart du temps, d'un sommeil agité, tourmenté, dont il sortait en divaguant.

La seule chose qui semblait le calmer un peu, le rendre heureux et apaisé, c'était Brooke. Elle n'avait pas quitté sa chambre depuis qu'ils étaient arrivés.
Ah ! La bonne blague. Dans la voiture, elle avait bien préparé le terrain, usant et abusant de la naïveté d'Issei pour le préparer à une bonne claque dans la nuque. Mais celle-ci n'était jamais arrivée parce que cette maudite andouille s'était fait mordre. Cinq jours qu'ils étaient là, et qu'elle le veillait en permanence.
Avant qu'ils apprennent la gravité de la blessure, Aone avait promis à Issei qu'ils ne l'abandonneraient pas en chemin. Sauf qu'Aone en devenait fou, maintenant. Il tournait comme un lion en cage, piaffait d'impatience de reprendre la route, mais une promesse est une promesse.

Et quoi qu'il arrive, Brooke savait qu'elle ne pouvait pas quitter Issei. Si elle n'était pas là quand il se réveillait, il se mettait à hurler et à ruer comme un fou dans son lit, accusant les autres de vouloir l'empoisonner. Brooke n'était même plus certaine qu'il sache qui elle était vraiment, sa petite amie, sa sœur, sa mère ou un ange descendu du ciel pour adoucir ses souffrances. Quoi qu'il en soit, il semblait avoir un besoin d'elle quasi vital.
Et dire que la seule raison qui l'avait poussée à prendre part à cette expédition était l'espoir de se rapprocher d'Aone, de passer un peu de temps avec lui. Espoir pour le moins déçu. Aone passait ses journées en bas, à aider les croulants, pour s'empêcher de penser à cette attente insupportable et au foutu retard qu'elle impliquait. Amélia lui avait confié du travail dans le jardin. Les autres n'arrêtaient pas de discuter avec les vieux à propos de la maladie. Ils apprenaient tous des trucs. Tous, sauf Brooke, coincée ici avec le comateux.

Elle ne comptait plus le nombre de fois où l'idée de le planter là lui avait traversé l'esprit. Après tout, elle le connaissait à peine. Il n'était rien pour elle. Juste un gamin puant, à la langue bien pendue, qu'Aone traînait dans son sillage quand il s'était pointé au musée. Elle ne lui devait rien du tout.

Elle posa une main sur son front. Humide. Brûlant. Elle tendit le bras, attrapa le gant de toilette qui trempait dans un bol d'eau froide posé sur la chaise à côté d'elle, et lui tamponna le visage avec, comme Norman le lui avait montré. Aucune réaction. Rien. Pas une grimace ni une vaine tentative pour repousser sa main, comme il faisait les premiers jours. Sa respiration était courte, rauque et irrégulière. De temps à autres, il semblait avoir une sorte d'attaque et avalait d'énormes bouffées d'air qui faisaient trembler tout son corps.

Les larmes lui montèrent aux yeux. Que faisait-elle ici ? Que faisaient-ils tous ici ? À l'heure qu'il était, elle aurait dû être au musée, au milieu de ses amis, et certainement pas coincée avec tous ces vioques et ce mourant. En plus, personne ne semblait se soucier d'elle. On l'avait larguée ici. Oh, Brooke peut tout à fait s'occuper de notre ami. Elle se leva et marcha sans bruit jusqu'à la porte. Sortir, ne serait-ce que quelques minutes, lui ferait du bien. Marcher un peu dans le jardin, au clair de lune. N'importe quoi. Juste quitter cette chambre où elle devenait folle.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant