Quinze ans. Cela faisait quinze ans que je n'avais pas pleuré. Quinze ans que je ne ressentais plus aucune tristesse, plus aucune douleur.
J'avais bien versé quelques larmes à la mort de ma mère. C'était, durant mes vingt-trois années de vie, l'épreuve la plus dure que j'avais eu à surmonter. Mais pour ma sœur, pour mon père, pour tout le reste de ma famille, j'avais gardé la tête froide, comme je le faisais à chaque fois. La peine était restée en moi, dans ma tête et un peu dans mon cœur, sans m'empêcher pour autant de vivre.
Pas comme ce soir. Pas le cœur fendu en deux, et les larmes ruisselant sur mes joues comme des torrents de montagne. Pas de paralysie, de détresse aussi intense que ce soir.
La dernière fois que j'avais pleuré comme ça, je n'avais pas plus de huit ans. Parce qu'un garçon plus âgé m'avait demandé si j'avais la varicelle, à cause de mes tâches de rousseurs. J'étais rentrée chez moi en courant, sans écouter les moqueries de ses amis, mais leurs rires avaient résonné dans ma tête pendant des jours. Le soir, je m'étais griffé le visage sous la douche pour les faire disparaître. J'avais griffé, encore, encore, dégoûtée par la moindre de ces petites tâches. Mes joues étaient devenues rouges et éraflées, je pleurais plus de douleur que de tristesse, mais je devais continuer, pour être aussi belle que Liz. Lorsque mes parents avaient vu ça, ils m'avaient violemment disputé.
– Arrête ça tout de suite, Tina ! avait crié mon père. Je ne veux plus jamais t'entendre dire que tu n'es pas belle, c'est clair ?
– Arrête de pleurer, avait supplié ma mère. Ça ne sert à rien...
Alors j'avais obéi, et j'avais arrêté. Je n'avais plus rien dit, au point de ne plus y penser. Je ne me trouvais pas plus belle, pas plus intelligente, mais c'était devenu une habitude. J'étais comme ça, c'était tout. Mes parents étaient heureux de voir que je ne pleurais plus. Et je croyais l'être aussi.
Cela faisait quinze ans que j'avais laissé ce fardeau de côté. Je me fichais qu'on ne me trouve pas belle. J'avais bien reçu quelques commentaires au bal de promo, ou au mariage de ma sœur. « Wouha, tu es ravissante, Tina ! », « Ta robe te va à ravir ! ». Mais dans la bouche de ces hypocrites qui ne m'avaient jamais adressé la parole et qui réitéraient le même compliment à chaque convive, ces paroles n'avaient pas la moindre valeur. Et je m'en moquais. Pas le moindre mal, le moindre pincement au cœur. Je m'étais habituée. Je ne ressentais plus rien.
Jusqu'à maintenant. Jusqu'à lui. Lui qui faisait naître, pour la première fois, des émotions en moi. Bonnes, comme mauvaises. Il me faisait rire comme personne auparavant. Il faisait battre mon cœur à une vitesse folle. Et ce soir, il m'avait aussi fait pleurer. Car j'avais beau le nier, vouloir croire qu'il n'y était pour rien, c'était bien lui qui avait placé en moi cette petite lueur d'espoir d'être un jour importante, considérée, belle aux yeux de quelqu'un. Et si Niall avait prononcé les quelques mots qui avaient tout fait basculer, Louis en était bien à l'origine.
Lorsque le concert avait débuté, vidant la loge de tous ses occupants, je n'avais pas réussi à bouger. Le souffle court, soutenue par Marina, je m'étais laissé glisser contre le mur comme les larmes sur mes joues. J'avais entendu la maquilleuse appeler un vigile, tout en frictionnant mon bras en signe de compassion. « Pas grave... Pas grave... » m'étais-je répété. « Pas grave... Pas grave... ». Mais ça n'a fait qu'empirer la panique. Je ne voulais plus de ces « Pas grave ».
Je ne savais plus ce que je voulais. Ma vie normale, faite de mannequins sans émotion, de monotonie, de petits sourires polis et de « Pas grave ». Ou celle que je découvrais, remplie de nouveauté, de rire, de cœur trop rapide... et de lui. J'étais perdue entre ces deux mondes, tiraillée entre une ancienne Tina vide et une nouvelle souriante. J'aimais la nouvelle, celle qui sortait sur un coup de tête à une soirée irlandaise avec une star mondiale, celle qui apprenait à plaisanter et qui riait. Mais je ne pouvais pas être elle. Je n'étais pas assez intéressante. Pas même pour Chris. Pas même pour Louis.
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Up and Away
FanfictionTout, dans la vie de Tina Harris, est fade et sans couleur : un métier de photographe publicitaire qu'elle n'aime qu'à moitié, un petit ami qui l'oppresse, une relation que l'amour a déserté, et surtout, une indifférence à sa propre vie qui la suit...