L'histogramme était parfait, exactement ce que je recherchais. Ce qu'il fallait de lumière pour mettre en valeur le visage souriant de Harry, sur un fond sombre qui faisait ressortir ses yeux clairs. Satisfaite, j'ai retenu ma respiration le temps d'un instant, pour appuyer sur ce petit bouton qui avait le pouvoir de me donner toujours le même frisson depuis des années. J'aimais autant qu'au premier jour la mince poussée d'adrénaline au moment de déclencher, comme si toute ma vie dépendait de ce bref instant. J'aurais tant aimé vivre vingt ans plus tôt, lorsque la pellicule ne pardonnait pas et que chaque erreur était fatale : la sensation devait être immensément plus forte. Car après avoir appuyé sur le fameux petit bouton, il n'y avait plus de retour en arrière possible. L'image était figée pour toujours, ineffaçable.
Après un rapide coup d'œil à sa montre puis à son équipe épuisée, Finlay a demandé à Pat d'abréger la répétition. Après tout, il leur restait encore la journée du lendemain, et les garçons commençaient vraiment à fatiguer. Tous, sauf Louis, qui ne semblait pas connaître ce mot. Pire qu'un enfant hyperactif, il ne perdait pas une occasion de faire un jeu de mot ou d'embêter un de ses collègues. Liam le réprimandait au début, mais il avait vite compris que ça ne servait à rien.
J'ai rejoint les garçons dans les loges où ils se déséquipaient de leurs micros. J'ai rangé mon appareil dans sa sacoche. Au fond de celle-ci, l'écran de mon téléphone me scrutait comme sa proie vulnérable, près à m'attaquer. La dernière fois que je l'avais touché, c'était pour mettre fin aux appels incessants de Chris, et je n'avais aucune envie de le rallumer. Et après tout, pour quoi faire ? J'avais tout ce dont j'avais besoin, ici !
A une exception près : je devais mettre ma sœur au courant. Je ne lui avais donné aucune nouvelle après notre petite dispute et la connaissant, elle devait se faire un sang d'encre.
J'ai ignoré les quinze messages et sept appels de Chris pour composer le numéro de Liz, croisant les doigts pour ne pas trop la déranger. Elle a répondu au bout de deux sonneries, d'une voix à moitié endormie.
– Hey, sœurette ! Ça va ?
– Salut Liz... Je te réveille ?
– Oula non, ne t'en fais pas ! Tom a été malade toute la nuit, on n'a rien dormi.
Inquiète pour mon neveu, j'ai demandé de ses nouvelles, mais ma sœur m'a rassuré : ce n'était qu'un petit microbe qui commençait déjà à passer. Prises dans mes propres tourments, je n'avais même pas pensé à l'appeler... J'ai fait promettre à Liz de faire un bisou à son fils de ma part, lorsqu'il serait réveillé.
– Ça marche, je le ferai ! Alors, où est-ce que tu es, cette fois ? Comment tu vas ?
– Pour la première question, je suis à Sofia, en Bulgarie !
– Ouha, encore un pays dont j'aurais presque oublié l'existence... a-t-elle plaisanté. Et pour la deuxième question ?
– Tu as un moment ?
Ma question a dû la faire paniquer car Liz s'est empressée de me demander ce que j'avais, s'il n'y avait rien de grave, si j'avais besoin d'aide. J'ai attendu qu'elle se calme pour lui avouer ce que j'avais fait vingt-quatre heures plus tôt. Les mots se sont bloqués dans ma gorge, indicibles. J'avais l'impression d'être un monstre. Même si elle était atténuée par l'adrénaline de mon travail et les plaisanteries du groupe, la culpabilité coulaient toujours dans mes veines et me replongeait dans mes souvenirs communs avec Chris dès que mon esprit n'était pas occupé. Je ne regrettais pas, du moins pas pour l'instant, mais passer à autre chose était plus difficile que je ne l'aurais imaginé.
Cependant, Liz ne l'a pas entendu de cette oreille.
– C'est pas vrai ! Ma parole, tu as vraiment fait ça ? C'est pas toi qui me disais il y a cinq jours que tu ne pourrais jamais le quitter ?
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Up and Away
FanfictionTout, dans la vie de Tina Harris, est fade et sans couleur : un métier de photographe publicitaire qu'elle n'aime qu'à moitié, un petit ami qui l'oppresse, une relation que l'amour a déserté, et surtout, une indifférence à sa propre vie qui la suit...