Les yeux encore endormis, je me laissais bercer par le mouvement régulier du bus et le bruit ronronnant du moteur. Personne ne parlait : nos quelques heures de sommeil n'avaient pas été suffisantes pour donner aux garçons leur habituelle énergie débordante. Je me demandais si on les avait prévenus de ce rythme insoutenable, quand ils avaient décidé de faire ce métier. Pour ma part, j'étais heureuse que ce planning d'enfer ne dure que cinq petites semaines. Je n'étais pas une grosse dormeuse, mais j'aimais avoir un rythme régulier qui ne vienne pas contrarier mes habitudes si réglées que Liz s'en moquait souvent.
Je me suis un peu redressée en songeant à ma sœur : je ne lui avais donné aucune nouvelle après notre appel précédant le cocktail. En fait, je n'avais rallumé mon téléphone que pour appeler Chris. Entre les répétitions, la sortie à la plage, et le concert de la veille, je n'avais pas songé un instant à me reconnecter avec le monde, ou plutôt avec les rares personnes qui se souciaient de moi aux États-Unis. J'ai plongé la main dans ma sacoche pour récupérer mon portable. J'ai constaté quatre messages et deux appels de ma sœur.
Oh mon dieu ! Tu es trop belle ! Tu me raconteras comment ça s'est passé ;-)
Alors ? :-D
C'est pas gentil de faire durer le suspense ! Je veux tout savoir !
Tout va bien, Tina ?
Ma sœur s'inquiétait toujours très vite. Elle avait dû oublier que j'avais maintenant vingt-trois ans et que je n'étais plus la petite fille qui avait besoin d'être surveillée sans relâche. Je la comprenais, ça devait être dur à accepter. Nous avions passé tant d'années ensemble chez nos parents, à jouer et se chamailler, qu'elle n'arrivait toujours pas à se détacher de son instinct protecteur de grande sœur. Je lui ai envoyé un petit message pour la rassurer et lui promettre que je l'appellerai une fois arriver à Lisbonne. Je l'imaginais déjà râler face à ma prochaine destination. Si Liz avait pu faire le tour du monde, elle aurait sauté sur l'occasion, et plutôt deux fois qu'une. Petites, nous regardions les albums photos de nos parents en rêvant de voyager comme eux. Ils étaient partis plusieurs fois en Asie et en Afrique, et bien évidemment en Europe, pour voir la famille de ma mère. Allongées sur leur lit, des étoiles plein les yeux, nous nous promettions de visiter un jour tout ça ensemble. « Mais oui ! disait ma mère. On ira là-bas, tous ensemble. Je vous ferais visiter Litrano. »
Litrano. Si seulement. Si seulement elle était encore là. Je l'imaginais m'appeler chaque jour de mon périple pour s'assurer que tout allait bien, que je mangeais bien, que je ne rentrais pas trop tard. Elle me rappellerait de prendre soin de moi, et aurait noté quel jour et à quelle heure je poserai enfin le pied sur sa terre natale. Elle m'aurait fait jurer d'aller voir Litrano, de retrouver la petite maison bleue aux volets blancs qui surmontait la mer, et d'aller voir Luigi, son cousin, qui tenait l'épicerie au coin de la rue depuis plus de cinquante ans. Elle me raconterait une énième fois sa rencontre avec Maria, sa copine aux chèvres, et ses fiançailles avec mon père, au bord de la plage. Puis elle me jurerait que nous y retournerions tous ensemble, Liz, Papa, elle et moi, avant de me souhaiter une « Bonne jourrrnée », avec son léger accent qui n'avait jamais disparu complètement.
Liam a ouvert la porte du minibus, me faisant brusquement sortir de mes pensées. Nous étions arrivés à l'aéroport. J'ai inspiré un grand coup pour chasser les larmes qui affluaient sous mes paupières, et me redonner un semblant d'apparence. Je suis sortie à la suite des garçons, prenant mon temps pour rester à l'écart.
Cette fois, c'était décidé : je devais me retrouver. Cette vie dans laquelle je m'étais embarquée n'était que chimérique. Les concerts, les voyages, les décisions sur un coup de tête, les mille et un sentiments que je découvrais... Tout était si tentant. Mais tout disparaitrait à la fin de mon contrat : dans trois semaines. Les garçons m'oublieraient aussi vite, je n'aurais personne en Europe... Que me restera-t-il ? A quoi bon emprunter ce chemin qui ne mènerait à rien ?
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Up and Away
FanfictionTout, dans la vie de Tina Harris, est fade et sans couleur : un métier de photographe publicitaire qu'elle n'aime qu'à moitié, un petit ami qui l'oppresse, une relation que l'amour a déserté, et surtout, une indifférence à sa propre vie qui la suit...