Une chose était sûre : Louis ne parlait pas italien. Mais s'il avait compris un seul mot, c'était bien le plus important.
Gisella.
Rien qu'évoquer son nom me tordait les entrailles. Il semblait résonner en moi, comme un écho dans un espace vide, un trou béant, où elle avait un jour eu sa place. Alors qu'elle semblait définitivement partie, la douleur de son absence s'est diffusée en moi, partant de mon cœur pour s'insinuer dans chaque membre.
C'est elle qu'ils voulaient revoir. C'est elle qui devait être là...
Mais avant que les voix ne deviennent trop fortes dans ma tête, la main de Louis s'est posée sur mon épaule avec une tendresse infinie. Ce simple contact a suffi à éloigner un peu la souffrance. Puis il a passé son bras autour de moi pour me serrer contre lui, pas trop fort, juste pour me montrer qu'il était là.
– Hé, Tina... m'a-t-il murmuré tout près de mon oreille. N'oublie pas : elle est là, avec toi, d'accord ?
J'ai ravalé toutes mes larmes et hoché de la tête. C'était pour elle que je faisais ça, j'accomplissais un de ses rêves et un des miens. De là où elle était, elle serait sûrement heureuse que je sois ici plutôt qu'à Atlanta. Inspirant profondément pour chasser une dernière fois la tristesse, j'ai relevé les yeux vers la femme qui ne s'était pas départi de son sourire.
– Je suis Tina, la fille de Gisella.
– Je sais, a-t-elle admis. Mais tu as ses yeux. Alors un petit bout d'elle est revenu à Litrano.
Et c'était la plus belle chose que je pouvais espérer. J'ai caché mon émoi derrière un petit sourire, tout en soufflant pour le ciel : « Tu vois ? On y est. ».
– Je suis Maria, s'est-elle présentée. Je connaissais bien ta mère, on a grandi ensemble. J'habitais...
– Maria ? l'ai-je interrompu. Oui, elle m'a souvent parlé de vous !
La fille aux chèvres ! me suis-je abstenue d'ajouter, doutant que ce serait un compliment. Maria était comme une légende pour ma sœur et moi : Maman nous avait tant raconté leurs histoires, leurs aventures, leurs escapades tôt le matin pour rassembler le troupeau de la famille... Sous l'émotion, mes mains tremblaient légèrement et mon cœur faisait des bonds gigantesques. Ma gorge se serrait, mais pas de tristesse, non ; c'était quelque chose de bien plus beau. Comme un fou-rire qui voulait se libérer depuis toujours. C'est donc aussi magique, de réaliser un rêve ?
– Je pensais que toute la famille se joindrait au voyage ! a remarqué Maria en avisant Louis d'un coup d'œil, avant de se reprendre, désolée : oh, peut-être qu'Anthony...
– Non, non, mon père va bien, et Liz, ma grande sœur, aussi. Simplement, j'étais en Europe pour mon travail, alors j'ai décidé d'en profiter.
– C'est une très bonne idée !
Brusquement, un homme un peu plus âgé qu'elle a fait irruption depuis la rue où avait disparu la jeune fille trois minutes plus tôt. Immense, grisonnant et vêtu d'un tablier qui semblait avoir été blanc un jour, il a stoppé net en me voyant. Un grand sourire a traversé son visage, aussi chaleureux que des derniers rayons de soleil sur l'allée pavée.
– Mon Dieu, je ne peux pas y croire ! a-t-il ri, à la limite de l'euphorie.
– Et pourtant ! a répondu Maria. Tina Rosso est parmi nous !
Il n'a fallu que cinq minutes pour que la nouvelle de notre visite se répande dans le village – il fallait dire aussi que les trois cents habitants colportaient vite les informations. Rapidement, j'ai été séparée de Louis, entourée de dizaines de personnes qui me racontaient avoir connu ma mère. L'homme au tablier était Luigi, son cousin le plus proche, qui tenait la même épicerie familiale depuis quarante-cinq ans. Je rencontrais également certaines de ses camarades de classes, qui me ventaient sa gentillesse et son courage, et en profitaient pour m'adresser leurs condoléances. Maria, comprenant sans doute que ce sujet me dérangeait, s'arrangeait pour les éloigner à ce moment de la discussion.
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Up and Away
FanfictionTout, dans la vie de Tina Harris, est fade et sans couleur : un métier de photographe publicitaire qu'elle n'aime qu'à moitié, un petit ami qui l'oppresse, une relation que l'amour a déserté, et surtout, une indifférence à sa propre vie qui la suit...