Chapitre 31

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J'avais passé le dernier jour à Londres dans le déni le plus total. J'étais sortie toute la journée, j'avais visité autant que possible tous les monuments et lieux emblématiques de la ville. J'avais dégusté un fish & chips délicieux, que j'avais immédiatement regretté en réalisant la quantité de gras que je venais d'ingurgiter. Je m'étais aussitôt promis de ne rien manger d'autre que des légumes le soir-même. J'avais envoyé à ma meilleure amie et à mon neveu grand nombre de photos ultra touristiques de Big Ben ou de Buckingham Palace dont les gardes en costume avaient bien plu à Tom. J'avais erré jusqu'à vingt heures dans les rues de la capitale, cherchant à arrêter le temps, d'une manière ou d'une autre.

Mais inéluctablement, la nuit était tombée et avec elle, l'approche du lendemain et tout ce qu'il supposait. Un départ à onze heures pour Rome.

– Tina, tu m'entends ? appelait Finlay depuis plusieurs minutes. Tu es réveillée ?

Bien sûr que je l'étais. En fait, je n'avais même pas fermé l'œil de la nuit. J'avais tout essayé pour chasser l'appréhension qui me tenaillait le ventre : lire, écouter de la musique, trier mes photos et même celles de Simon... Mais rien à faire. Sans cesse, les images de Litrano me revenaient en tête, accompagnées de la voix de ma mère qui nous promettait : « Un jourrr, on irrra en Italie tous ensemble ! ».

Tous ensemble... Peut-être qu'on aurait pu le faire, sans cette fichue tempête. Mais aujourd'hui, j'y irai seule, sans même ma sœur ou mon père pour lui rendre hommage. Je serai seule, au milieu des souvenirs de ma mère, de toutes les histoires qu'elle nous racontait autrefois.

Je n'y arriverai pas. J'en serai incapable.

– Tina, s'il-te-plait ! a insisté l'agent, presque énervé. On ne peut pas rater notre avion.

Revenue à la réalité, j'ai réalisé que mes joues étaient couvertes de larmes silencieuses. Ma gorge s'était bloquée, refusant de laisser passer le moindre sanglot. J'essayais d'endiguer l'appel du vide, mais il était si fort que j'étais sur le point de lâcher prise.

– Laisse-moi lui parler, a fait une seconde voix que j'ai immédiatement reconnue. Je sais ce qu'elle a.

Le retour à la réalité. Je me suis aussitôt redressée et j'ai séché mes larmes.

– C'est bon ! ai-je crié. J'arrive dans cinq minutes.

Je n'avais certainement pas besoin de lui maintenant. Il avait déjà réduit mes dernières semaines en fumée ; sa présence ne m'aiderait sûrement pas.

Au prix d'un effort considérable, je me suis habillée et j'ai peigné mes cheveux indociles en une queue de cheval haute. En trombe, j'ai plié mes affaires, fermé ma valise et j'ai rejoint le groupe.

Le ciel était dépourvu du moindre nuage, de Londres à Rome. « Un temps parfait pour survoler les Alpes » nous avait assuré le pilote. Mais j'aurais préféré les turbulences et les cumulonimbus, plutôt que de voir petit à petit se rapprocher mon pays maternel. Chaque minute nous rapprochant de l'atterrissage paralysait un peu plus mes muscles et mon esprit.

Rapidement, trop rapidement, nous nous sommes retrouvés au milieu des rues de Rome. Le soleil de l'après-midi illuminait la ville d'une lumière chaude, ravissant passants et touristes. Mais dans mon cœur, tout était sombre et terne. Je refusais de regarder autre chose que mes mains, posées sur mes genoux. J'essayais de calmer la brûlure dans ma poitrine, mais elle se répandait dans mon corps comme un poison mortel.

Je ne peux pas, me répétais-je inlassablement. Je ne devrais pas être ici. Tout mon être, tétanisé, refusait la réalité, m'enfermait dans une boucle infernale qui me coupait du monde. A l'étroit dans l'habitacle du véhicule, j'allais craquer d'un instant à l'autre.

Up and AwayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant