— Neal ! Neal, hé, attends !
Je pivote d'un bloc pour faire face à Theo, qui a pressé le pas pour me rattraper. Je viens tout juste de tourner à l'angle du centre sportif O'Neill. Mon souffle est court, mais cela n'a rien à voir avec le rythme de ma marche. La discussion que je viens d'avoir avec Cleo tourne encore dans mon esprit. Tout se mélange : ma panique, ses larmes, les mots que nous avons échangés.
Si je me suis éloigné si vite, c'est justement parce que je craignais les remarques de mes coéquipiers en me découvrant en compagnie d'une inconnue. C'est raté : au vu de l'expression de Theo, je vais tout de même avoir le droit à un interrogatoire. Je rentre ma tête entre mes épaules, glisse mes mains dans les poches de mon sweat brodé de l'écusson de la WestConn. Autant en finir au plus vite.
— C'était qui, la fille avec qui tu parlais ? me lance-t-il. Ça avait l'air tendu entre vous, il se passe quoi ?
Je me mords l'intérieur de la lèvre. Je ne sais pas comment raconter ça, mettre des mots sur ce qui vient de se produire. Je crois que je préfèrerais pousser le souvenir des dernières minutes dans un recoin de mon esprit et ne plus jamais l'en sortir. Continuer comme avant. C'est bien pour ça que j'ai pris la fuite face à Cleo, d'ailleurs.
J'envisage de répondre à Theo que ça ne le concerne pas. Et je le ferais sûrement, s'il arborait l'expression qui est habituellement la sienne quand il flaire un potin bien juteux. Mais c'est surtout avec inquiétude qu'il m'observe. Cela me trouble. Souvent, les Dolphins de ma promotion ont répété que nous sommes amis, tous les six. Mais c'est l'une des premières fois où j'ai réellement le sentiment que cela va au-delà des belles paroles. Que je suis pour mon coéquipier autre chose qu'un objet de curiosité, qu'il se préoccupe de moi. Alors pour une fois, parce que je n'arrive plus à gérer tout le bouillonnement qui me retourne le cerveau, je me décide à m'ouvrir :
— Elle s'appelle Cleo.
Bon, m'ouvrir, peut-être pas ; à faire un premier pas, du moins. Expliquer ce qui vient d'avoir lieu entre elle et moi n'est pas simple. Je ne sais pas par où commencer.
— D'où elle sort ? On ne l'avait jamais vue avant.
— Elle vient du Nebraska, je réponds, me focalisant sur la question de Theo pour me donner un fil directeur. Elle... elle a demandé à changer d'université pour poursuivre ses études avec moi.
Si j'espérais que le dire à voix haute m'aiderait à accepter cet état de fait, ce n'est pas le cas. Cela me semble toujours aussi absurde. Et je suis rassuré de constater que mon coéquipier aussi semble ébahi. Ses yeux s'écarquillent, et il lâche un dubitatif :
— Eh ben...
Je renchéris d'un hochement de tête.
— Comment ça se fait que vous vous connaissiez ? enchaîne-t-il. Elle était au lycée avec toi, ou un truc du genre ?
— Non, on s'est rencontrés sur un Discord de mots croisés. On ne s'était jamais vus avant aujourd'hui.
— Wow.
La réaction de Theo apaise quelque peu les battements erratiques de mon cœur. Ce n'est pas moi qui ai du mal à lire la situation : elle n'est effectivement pas normale. Cleo n'avait pas à débarquer à Danbury comme ça, du jour au lendemain... Enhardi, j'affirme :
— Ce qu'elle a fait... C'est dingue, non ? Personne de sain d'esprit ne décide un truc du genre sur un coup de tête, n'est-ce pas ?
Les mots me paraissent durs, parce que j'ai du mal à les connecter avec la Cleo avec qui j'ai parlé des mois durant, mais force m'est de constater qu'elle vient d'agir à contre-courant de toute rationalité. Et pour que même moi, je le remarque, il faut qu'elle ait plus qu'abusé.
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...