Mon sac de voyage soigneusement préparé me nargue. Et dire que j'attendais avec impatience ce week-end de compétition... Mais dès que j'ai lu les messages de Jerry en me levant ce matin, j'ai été submergée par une vague de panique impossible à contrôler. Je sais bien que des tas de gens roulent un peu trop vite sans jamais avoir de problème ; cependant, d'un coup, envisager de monter dans sa voiture m'a paru insurmontable. Je m'étais préparée psychologiquement à ce qu'il me conduise alors que nous ne nous connaissons pas si bien que ça, et j'aurais pu faire cet effort s'il m'avait permis de me sentir en sécurité. Là, ses mots ont libéré hors de ma mémoire un tourbillon de flashs dont je ne parviens pas à m'extraire.
Le monde qui tourne, tourne, tourne en volant en éclats.
La douleur dans mon bras, l'odeur de brûlé, le goût du sang envahissant ma bouche.
Le silence. Insupportable.
Papa...
Assise au bord de mon lit, la main droite serrant fort mon poignet gauche, je lutte pour ne pas laisser couler mes larmes. De désespoir face à ma tristesse qui me rattrape, de frustration de manquer ces championnats qui constituaient l'une des perspectives qui m'ont fait tenir ces derniers mois... Si encore Jerry m'avait avertie un peu plus tôt de son style de conduite, j'aurais pu me retourner. M'organiser pour faire le trajet en transports en commun, comme c'était mon intention initiale ; il est trop tard à présent. Le bus que j'aurais dû prendre est déjà parti...
J'aurais aussi pu m'insurger contre les bravades de Jerry sur le groupe WhatsApp du club, et demander si quelqu'un d'autre était d'accord pour me prendre dans sa voiture. Toutefois, même si j'apprécie tous ces gens, je ne les connais pas encore assez pour envisager de m'expliquer quant aux raisons de mon revirement. Et puis, je ne me sens pas assez sereine pour réfléchir posément, mobiliser mon énergie pour me battre. J'ai besoin de toutes celles dont je dispose pour ne pas m'effondrer. Même si renoncer à la compétition me déchire, interagir avec des quasi-inconnus dans le mince espoir de sauver la situation est au-dessus de mes forces, là tout de suite.
La mort dans l'âme, je me relève. Il ne sert à rien que je demeure là à m'apitoyer sur mon sort indéfiniment : ça ne changera rien. Autant que je me remette en pyjama pour me recoucher. J'ignore si je parviendrai à me rendormir, mais au moins, j'aurai l'illusion d'avoir gagné une grasse matinée dans l'affaire...
Je m'apprête à faire passer mon chemisier par-dessus ma tête quand soudain, on frappe à la porte de ma chambre. Surprise, je me fige, et relâche le tissu en me tournant vers le battant. Qui peut bien venir me voir à cette heure-ci ? Est-ce quelqu'un qui cherche Selena ? Elle est pourtant avec James ce matin. Ou alors, peut-être est-ce Jerry qui n'a pas voulu comprendre le sens de mon message de tout à l'heure et qui a décidé de venir me chercher malgré tout ? Dans l'un et l'autre cas, je n'ai pas envie d'aller ouvrir. Pas envie de subir des discussions indésirables alors que je ne désire qu'une chose à cet instant, me retrancher dans ma coquille.
Les coups retentissent de nouveau, accompagnés d'une voix :
— Cleo ?
Mon corps se tend un peu plus. J'ai peur de reconnaître ce timbre grave mais doux.
— Cleo, ouvre-moi, je sais que tu es là. Je vois de la lumière sous ta porte.
Je ferme les yeux, soupire. Puisque je suis acculée, je n'ai pas le choix. Je rejoins l'entrée de la chambre, tourne ma clé dans sa serrure, et entrebâille le battant. Face à moi, c'est bien Neal que je découvre. Lorsque ses yeux se posent sur moi, ils se teintent d'un mélange de compassion et de soulagement ; puis, sans même me saluer, il débite :
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...