Chapitre 10 - Cleo

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Délicatement, je sors de ma valise Lunie, la figurine de panda en résine que mes parents m'ont offerte quand nous avons visité le zoo d'Atlanta lorsque j'avais dix ans, et la pose sur ma nouvelle table de chevet. Sa tige de bambou serrée contre elle, elle m'observe comme si cet énième déménagement ne la perturbait pas le moins du monde – et pour cause, ce n'est rien qu'une petite sculpture un peu fatiguée, que je trimbale depuis bien trop longtemps au regard de sa qualité de fabrication. L'une de ses oreilles a pris un mauvais coup il y a quelques années, et la peinture au niveau de son genou gauche laisse apercevoir un peu de la matière grisâtre en dessous. Il n'empêche, il fallait que Lunie trône bien en évidence pour que je me sente enfin installée dans la chambre qui sera la mienne désormais – avec Selena. C'était le dernier objet qu'il me restait à déballer : mes vêtements sont pliés dans mon armoire, mes livres classés dans ma bibliothèque, mes cahiers de mots croisés alignés sur mon étagère – je les ai tous gardés depuis que je me suis plongée à fond dans cette activité, même s'ils prennent de la place. J'ai beau rarement consulter mes anciennes grilles, c'est sentimental. Les feuilleter me renvoie à la période où je les ai remplis. Je sais que je ne pourrai plus jamais y retourner, mais j'ai besoin de m'en souvenir, parfois. Comme une fenêtre sur un autre monde, quand cette réalité se fait trop froide.

Je me tourne vers le côté de la chambre occupé par Selena. En m'attendant, James, Patrizia et elle discutent, assis sur le lit de ma nouvelle colocataire – il est question d'un loup de peluche qui, d'après eux, mériterait bien un second bain. Je les observe un instant sans manifester que j'en ai terminé avec mon rangement. Décidément, il se dégage d'eux une impression de bienveillance qui m'apaise. Ils m'ont aidée à transporter mes affaires d'une résidence à l'autre avec bonne humeur, comme si m'accepter comme l'une des leurs était la chose la plus naturelle qui soit. Et encore, ils m'ont dit que plusieurs autres Dolphins leur avaient proposé de se joindre à eux – à commencer par Caliban, le colocataire de James, et sa petite amie. C'est moi qui ai dû insister pour leur faire comprendre que ce n'était pas nécessaire, même si j'ai demandé à Selena de les remercier de ma part pour leur gentillesse. Je n'avais que mes deux valises à transporter, et les chambres de la résidence universitaire ne sont pas si grandes : à plus de quatre, nous nous serions très vite marché dessus. Selena, James, plus Patrizia que je connais un peu puisqu'elle fait partie des filles qui m'ont ramassée à la petite cuillère après le fiasco devant la piscine, cela suffisait bien assez.

La moitié des lieux occupée par Selena est à son image : douce et accueillante. Une odeur florale imprègne l'air – de la violette, me semble-t-il. Comme elle me l'avait annoncé, sa décoration est constituée majoritairement d'origamis, tous plus impressionnants les uns que les autres. Il y a des plantes, des animaux, des bâtiments... Mais en bonne place, c'est un dauphin à l'aileron tordu qui trône. Au-dessus de son lit, elle a également accroché un certain nombre de photos, dont beaucoup de selfies de James et elle. L'un des clichés, pris à Times Square, les représente avec l'ensemble de l'équipe de natation – dont chaque membre est immortalisé dans une posture plus ou moins chaotique. Neal apparaît sur l'image, lui aussi ; quand mon regard s'est posé sur lui, j'ai préféré le détourner. Cette photo, je l'ai déjà vue : il m'avait raconté son voyage à New York quasiment en direct, à l'époque. Je n'aurais pas dû en conclure que c'est parce qu'il aurait aimé que je sois là-bas avec lui...

Pour ne pas me laisser gagner par la nostalgie, je me remets brutalement en mouvement et pousse ma valise rose sous mon lit, à côté de la gris foncé que j'ai déjà vidée un peu plus tôt. Cela attire l'attention de Selena, qui me lance :

— Alors ? Tu as tout installé comme tu veux ?

— Oui !

— Tu es presque aussi organisée que Selena, c'est impressionnant, commente James. Ne viens jamais dans notre chambre, à Caliban et moi, tu paniquerais. Et encore, on fait des efforts depuis qu'on a des invitées régulières.

My Crushing WaveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant