Trouver Cleo ne m'est pas très difficile. Oui, avec ses deux campus, la WestConn est plutôt étendue ; oui, si je l'avais voulu, j'aurais pu m'arranger pour ne quasiment pas la croiser de tout le semestre. Mais même si j'ignore dans quelle résidence universitaire elle loge, même si je ne me vois pas lui envoyer un message pour lui demander de la voir, j'en sais suffisamment sur elle pour savoir où chercher. Elle est en deuxième année de mathématiques ; quelques recherches sur le planning des cours au bâtiment des sciences, quelques informations à croiser, et j'ai pu déterminer où et quand elle termine sa journée les mercredis. Me voilà donc à l'attendre, posté sur un banc sur lequel des autocollants orange ornés du logo de l'université décolorent au soleil. Je la cherche du regard dans le flot d'étudiants qui passe devant moi, profitant de chaque seconde que je peux grapiller avant son apparition pour répéter les mots que je souhaite lui dire.
Je ne suis pas certain que je parviendrai à les lui exprimer aussi clairement que dans ma tête, mais j'espère que l'idée générale sera au moins compréhensible.
Soudain, je la repère enfin, alors qu'elle vient de passer les doubles portes donnant sur l'extérieur. Ses tresses sont ramenées en deux buns de part et d'autre de son crâne ; elle porte une blouse à manches longues bleu pâle rentrée dans son jean, qui lui va divinement bien. Un instant, je ne reste capable de rien d'autre que l'observer. Nous avons tant discuté ces derniers mois, mais je l'ai si peu vue... Malgré toutes les photos d'elle qu'elle m'a envoyées, son apparence physique est une nouveauté pour moi. Il y a une différence entre des clichés figés et la réalité d'une personne en chair et en os, respirant, se mouvant, souriant.
Pour moi, le passage de l'un à l'autre n'est pas naturel – plutôt chaotique. Pas que je sois déçu, au contraire : c'est trop d'elle d'un coup, comme une overdose saturant mes systèmes. C'est la deuxième fois qu'elle se trouve devant moi, et mon cœur a presque plus de mal à s'en remettre que la première : ses battements se font erratiques. L'appréhension à l'idée des excuses que je suis déterminé à lui présenter doit jouer là-dedans.
La trouver sur le campus était la partie facile... Rassembler le courage d'aller lui parler, c'est une autre paire de manches. Je mesure celui qui a été le sien lorsqu'elle a décidé de me surprendre en apparaissant devant moi la semaine dernière. Moi, je ne l'aurais probablement pas eu.
Je n'ai pas d'autre choix que de terminer ce que j'ai commencé, cependant. Son regard se pose sur moi, et j'ai la certitude qu'elle m'a identifié quand son expression se durcit. C'est un coup dans ma poitrine, la preuve que j'ai bien piétiné toute l'estime qu'elle me portait par la violence de ma réaction devant la piscine. Mais je ne peux plus reculer : ce serait commettre une deuxième fois la même erreur. Alors j'ignore la boule qui s'est formée dans ma gorge, je me décolle de mon banc, et je franchis la distance qui nous sépare.
Cleo ne bouge pas. Elle m'observe l'approcher avec circonspection, mains passées dans les bretelles de son sac à dos.
— Salut, je lâche lorsque je me retrouve devant elle, faute de mieux.
Elle articule quelque chose qui ressemble à une réponse, trop bas pour que je comprenne exactement ce qu'elle m'a dit. Un bonjour, une insulte ? Les deux me paraissent également plausibles.
— On pourrait se parler un peu ? j'enchaîne. Je n'en aurai pas pour très longtemps.
Elle hésite une seconde, puis acquiesce et fait un signe en direction du côté du bâtiment. Les étudiants sont moins nombreux à passer par là : nous y serons plus tranquilles. Je lui emboîte le pas en silence, profitant de ces derniers instants de répit avant de me jeter à l'eau. Mais elle finit par s'immobiliser, bras croisés, et je sens que c'est le moment. Elle paraît à peu près aussi réceptive qu'une muraille de pierre ; toutefois, je me remémore ce que Patrizia m'a dit. Elle a souffert, et elle a besoin de mes excuses pour aller mieux. Alors elle les aura, même si les lui présenter est l'une des choses les plus difficiles que j'ai faites de ma vie.
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...