Onduler, sous la surface de la piscine. Grapiller quelques précieux centimètres de plus où la résistance de l'eau est moindre que celle de l'air ; gagner les centièmes qui feront peut-être la différence en compétition. Les coulées, les parties de notre nage qui se passent loin du regard du public, sont souvent celles où les courses se remportent. Celles qui nous demandent le plus d'énergie, aussi. Pour les réussir, il faut se battre contre nos muscles qui nous brûlent, contre nos poumons qui nous réclament de l'oxygène. Améliorer notre technique afin d'être capables de nous propulser toujours plus loin est essentiel, raison pour laquelle il arrive régulièrement au coach Cabrera de centrer un entraînement entier sur ce point. Cela fait généralement pester mes coéquipiers : ces séances-là sont particulièrement intenses, et nous en sortons épuisés.
Moi, je les aime bien. Il n'y a qu'un seul objectif, et il faut mettre tous les moyens pour l'atteindre, quoi qu'il en coûte. Pour les muscles, c'est éprouvant, mais pour l'esprit, c'est tout l'inverse.
Aujourd'hui est l'une de ces soirées – à peine un peu plus d'une semaine s'est écoulée depuis la rentrée, et nous sommes déjà dans le dur. Je m'applique à pousser des jambes contre l'extrémité du bassin, avant de faire de mon mieux pour transformer mon élan en la distance la plus importante possible. Sous moi, les carreaux du fond de la piscine défilent. J'ai la même impression que lorsque je place un terme structurant d'une grille de mots croisés : l'un de ceux, d'une longueur d'une dizaine de lettres au moins, autour desquels les autres s'agrègent. Il y en a souvent un en vertical et un autre en horizontal, dans les formats standards. Les trouver rapidement, c'est s'assurer une base solide pour la résolution de tout le reste – tout comme une coulée réussie lance parfaitement une longueur, dans n'importe quelle nage. Mais bien sûr, c'est aussi le plus difficile. Placer mécaniquement les petits mots de deux ou trois lettres, très souvent réutilisés d'une grille à l'autre, est la première étape, tout en repérant une définition stratégique sur laquelle commencer à réfléchir.
Je profite de l'entraînement pour me remémorer le challenge auquel j'ai participé ce week-end, tentant de déterminer sur quels points j'aurais pu être meilleur – j'ai été battu par Jerry Rinehart de quelques secondes, alors que je suis certain que j'avais les capacités de le coiffer au poteau cette fois-ci. J'ai mis trop de temps à trouver quelle ville est surnommée « la perle du Danube » – c'est Budapest, mais le nom ne m'est pas venu immédiatement, et en complétant ma grille, j'ai eu longtemps du mal à trancher avec Bucarest à partir des lettres dont je disposais. Il va falloir que je me fasse une session de révision des surnoms géographiques, courants et moins courants. En identifier un correctement peut faire gagner beaucoup de temps dans une résolution, et au niveau que j'ai atteint, c'est souvent un détail de ce genre qui fait la différence.
Un coup de sifflet me tire de mes pensées, et met fin à la série de coulées que j'étais en train d'enchaîner. Le coach nous fait signe de sortir de la piscine ; je rejoins le bord en passant sous les lignes d'eau, puis m'extrais du bassin d'une poussée des bras. Je ne suis pas vidé au point d'être contraint de faire un détour pour passer par l'échelle, au contraire de Colin, l'un des nouveaux dans l'équipe, qui a l'air au bout de sa vie.
— Bon, c'était brouillon, on sent que vous rentrez de vacances, commente Cabrera une fois que nous sommes tous réunis. Grant, tes mouvements sont trop amples, tu te fatigues pour rien. Alyssa, essaye de sortir de l'eau un tout petit peu plus tard. Neal, toi, c'est l'inverse. Tu perds un peu de vitesse sur la fin de tes coulées, il faut que tu arrives à le sentir pour basculer sur la nage au bon moment.
Je hoche la tête, assimilant le conseil. C'est l'inconvénient de se laisser emporter par ses réflexions : je ne suis plus à 100% focus sur mes mouvements.
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...