Nous arrivons à Hartford sans encombre un peu moins d'une heure plus tard. La fin du voyage s'est passée exactement comme il avait démarré : dans le silence le plus total – si on excepte l'autoradio. À présent, je me gare sur le parking de l'hôtel où Kenneth s'est occupé de négocier un prix pour la réservation de nos chambres. Lorsque je coupe le moteur, j'attends quelques secondes, espérant que Cleo va saisir cette dernière occasion de me dire quelque chose.
Mais elle ouvre sa portière et descend de la voiture sans un mot. Je grimace, puis l'imite un instant plus tard. Elle m'observe, restant à trois pas de distance, tandis que je déverrouille le coffre. J'en sors ma valise, et avant que j'aie pu lui tendre son sac, elle s'en est emparée elle-même.
Alors que je suis persuadé qu'elle va filer jusqu'à la porte de l'hôtel sans se retourner, j'ai la surprise de constater qu'elle est toujours là lorsque je referme la voiture. Yeux baissés, elle lâche :
— Merci. Pour le trajet.
— De rien. Je t'attendrai aussi pour le retour, bien sûr.
Elle redresse la tête, pose son regard sur moi rien qu'un instant, et m'adresse un maigre sourire. Puis elle s'éloigne, prenant la direction de la réception. Je la suis sans me presser, préférant lui laisser un peu d'avance. J'avais pris de la marge : la compétition ne commence que dans trois quarts d'heure, et le centre de conférences où elle a lieu n'est qu'à quelques minutes à pied. Nous avons donc tout le temps de nous installer tranquillement.
Je récupère la clé de ma chambre, puis monte au deuxième étage par l'ascenseur avec ma valise. Ce que je découvre derrière la porte n°214 n'a rien de surprenant : une pièce cubique, peinte en blanc, un lit, un bureau, une chaise en plastique et une fenêtre avec vue sur le restaurant chinois qui jouxte l'hôtel. Pas vraiment de charme, mais qu'importe : pour dormir une nuit, ce sera très bien. Le critère principal de Kenneth pour choisir l'hôtel, ça a été sa proximité du lieu du championnat, et ses tarifs – très raisonnables. À première vue, il m'a l'air calme, ce qui est également important : récupérer entre les épreuves d'aujourd'hui et celles de demain sera crucial.
Avant de me remettre en mouvement, je consulte mon portable, que j'avais laissé dans ma poche tout le temps que j'étais au volant. Quelques messages ont été envoyés sur le groupe WhatsApp du club de mots croisés – principalement pour indiquer comment se passe la route pour les uns et les autres. Mais j'en trouve également sur celui des Dolphins. Et je suis agréablement surpris de constater qu'ils me sont adressés.
@the.theo.dwight : C'est le grand jour pour toi, Neal ! Bon courage pour ta compétition !
@jamesdavenport : On est tous derrière toi.
@ernesttt : Tu t'es entraîné toute l'année, je suis certain que ça va payer !
Caliban a ajouté un GIF de dauphin qui bondit fièrement au-dessus des flots ; Anton, un pouce levé et des mains qui applaudissent.
Je suis touché qu'ils se soient souvenus de la date des qualifications ; touché aussi qu'ils aient pris le temps de m'adresser ces encouragements. Mine de rien, en dehors de ma famille, c'est la première fois que quiconque me manifeste son soutien avant un championnat des mots croisés. Je ne pensais pas en avoir besoin, mais je dois avouer que ne pas me sentir seul face aux épreuves a quelque chose de galvanisant.
Peut-être que c'est ça, avoir des amis. Peut-être que finalement, je m'en suis fait sans même en prendre conscience.
Je tape une réponse rapide sur le groupe :
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...