La portière de la voiture, côté passager, s'ouvre après une demi-heure environ. Je relève la tête de la vitre contre laquelle je l'avais appuyée. Je ne dormais pas – impossible, avec le nœud dans mon cœur –, mais j'essayais tout de même de me reposer un peu. Pour tenter de calmer mes émotions, d'une part, et pour prendre des forces en vue du trajet à venir. Malgré ma peine, je n'oublie pas que je me suis engagé à ramener Cleo à Danbury en toute sécurité, et je compte tenir parole. Ça passe par avoir pris ce temps plus calme afin d'être en mesure de me focaliser sur ma conduite tout à l'heure.
Sans surprise, c'est Cleo qui m'observe depuis l'extérieur. Elle ne prononce pas un mot, mais son silence n'est pas le même qu'hier, à l'aller. Je n'y sens pas de colère, plutôt de l'hésitation.
Elle est désolée pour moi, mais ne sait pas comment me le dire.
Elle n'y est pas tenue. C'est elle qui aurait le pouvoir de me remonter le moral, mais le simple fait qu'elle soit là me permet de me sentir un peu mieux. Et je la connais suffisamment bien pour parvenir à lire à travers ce qu'elle ne formule pas. C'est déjà une consolation, même si j'aimerais que notre lien ne soit pas brisé au point qu'elle ne parvienne plus à m'adresser sa compassion. Qu'elle ait peur de le faire, qu'elle ignore si elle le doit ou comment, alors que je suis avide de n'importe laquelle de ses tentatives.
Elle tient toujours contre elle le bouquet qui lui a été offert tout à l'heure, lorsqu'elle a reçu le prix du meilleur espoir féminin. Elle le manœuvre maladroitement, sans paraître savoir si elle doit le conserver sur ses genoux ou le poser ailleurs. Avec un signe de tête en direction de la banquette arrière, je lui indique :
— Tu peux le mettre derrière nous, tu seras plus à l'aise.
Elle acquiesce et prend quelques instants pour s'exécuter, avant de revenir s'asseoir à la place du passager. Nos bagages sont déjà dans le coffre : nous les y avons chargés ce matin, avant les dernières épreuves, puisqu'il nous fallait libérer nos chambres d'hôtel pour onze heures au plus tard.
Jusqu'à ce moment, je n'étais pas certain que nous rentrerions ensemble. Hier soir, après le dîner en compagnie des autres participants aux championnats, j'ai entendu Jerry lui proposer de la ramener : puisqu'elle avait réglé son « empêchement », elle pouvait en revenir à son plan initial, arguait-il. À mon grand soulagement, elle a décliné. J'aurais aimé qu'elle lui dise ses quatre vérités à propos de son comportement peu responsable – et maintenant qu'il a obtenu l'une des deux premières places dont je rêvais, mon envie de le voir mordre la poussière d'une manière ou d'une autre se trouve encore renforcée. Mais au moins, elle n'a pas non plus brodé une excuse bancale pour justifier son choix – qu'elle serait pieds et poings liés par un engagement qu'elle aurait pris auprès de moi ou quelque chose du genre.
— Merci, mais je préfère faire la route avec Neal, a-t-elle affirmé.
— Hein ? Pourquoi ça ?
L'incrédulité dans la voix de Jerry ne m'a pas surpris, même si elle m'a blessé.
Il n'imagine pas une seule seconde que quiconque puisse me préférer à lui, pour quelque raison que ce soit.
Cleo s'est contentée de hausser les épaules. J'espère au moins qu'il a retourné cette absence de réponse dans son esprit autant que moi...
— Tu es prête à partir ? je demande à Cleo une fois qu'elle a fermé sa portière.
Elle acquiesce tout en bouclant sa ceinture de sécurité. J'en fais de même avant de mettre le contact. Je manœuvre pour quitter le parking, puis rejoins l'Interstate, direction Danbury.
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My Crushing Wave
RomanceS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...