Chapitre 29 - Cleo

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— Bon, vous avez tous bien bossé aujourd'hui, annonce Kenneth. On va s'arrêter là pour cet après-midi, sinon mon salon va sentir le ragoût de cerveaux fumants pendant trois jours. Passez une bonne semaine, on se retrouve dimanche prochain !

Satisfaite de mon entraînement – j'ai réalisé plusieurs excellents temps en réussissant à mettre en application une technique sur la fréquence des voyelles sur laquelle j'ai travaillé récemment –, je rassemble les grilles que j'ai résolues ces deux dernières heures. Tous les membres du club font de même, sauf Jerry, qui file droit vers notre président.

— On devait parler de ma préparation spéciale pour les finales nationales, non ? clame-t-il. Si je veux y obtenir le meilleur résultat possible, il va me falloir m'exercer à un niveau un peu plus relevé.

Je roule des yeux. Je suis contente pour Jerry qu'il ait réussi à obtenir la qualification qu'il visait, mais depuis les championnats régionaux, il la mentionne à la moindre occasion. Je comprends tout à fait qu'il en soit fier, mais à la longue, ça en devient lourd. Peut-être suis-je un peu dure : il est vrai que ce qui s'est passé à Hartford a jeté un froid entre nous. Son attitude désinvolte m'a déçue, et j'ai du mal à voir au-delà. Surtout qu'il ne fait pas spécialement d'efforts pour me prouver qu'il mérite que je m'accroche à notre amitié. J'adore parler de mots croisés, mais j'ai de plus en plus l'impression que nos discussions ne l'intéressent que si ce sont de ses propres performances qu'il est question. Donc, sans m'être réellement disputée avec lui, je laisse notre relation se déliter... Au moins, il a l'air heureux de pouvoir se focaliser sur l'objectif qui était le sien depuis si longtemps ; s'il est satisfait d'en faire son absolue priorité, tant mieux pour lui.

Nous avions pris l'habitude au début de l'année de rentrer ensemble à la WestConn après l'entraînement, mais absorbé par sa discussion avec Kenneth, il ne me prête pas attention alors que je range mes affaires, ni ne fait signe de vouloir me demander de l'attendre. Alors je pars. J'ai un devoir de mathématiques plutôt corsé à rendre lundi, et je ne suis pas du tout en avance. Au plus tôt je pourrai me remettre à travailler dessus, au mieux ce sera.

— Tu retournes directement à l'université ?

Sous le porche de la maison de notre président, je pivote pour me tourner vers Neal, qui en est sorti en même temps que moi. Il m'observe avec l'expression indéchiffrable qui est si souvent la sienne, celle qui se craquèle parfois pour laisser filtrer ce qu'il ressent mais derrière laquelle il se dissimule dès qu'il le peut.

— C'était le plan, oui, je lui réponds. J'ai pas mal de boulot pour les cours.

— J'y vais aussi. On fait le trajet tous les deux ?

— Oui, bien sûr.

Le visage de Neal se fend d'un sourire timide. Il fait un pas en avant pour se placer à mon niveau, puis nous nous mettons en route.

— Tu étais en forme, aujourd'hui, commente-t-il alors que nous remontons l'allée de Kenneth en direction de la rue. Sur la troisième grille, tu as identifié tout de suite le mot imaginaire que Samuel avait inséré pour nous piéger ?

— Non, mais j'ai fait quelques exercices de ce type récemment dans les recueils que tu m'as prêtés. J'ai essayé d'appliquer les conseils qu'ils donnaient et de ne pas me focaliser sur une seule définition si je sens que la réponse ne me vient pas tout de suite. En plus, je m'entraîne à la reconnaissance de schémas de voyelles en ce moment, donc j'ai plutôt tendance à faire du balayage large.

— Ça paye, c'est super !

— Merci.

Les encouragements de Neal me font plaisir. J'étais sincère le mois dernier, à notre retour d'Hartford, lorsque je lui ai dit que moi aussi, je voulais que nous redevenions amis. Avant l'accueil catastrophique qu'il m'a réservé quand je suis arrivée à Danbury, il comptait pour moi. Au cours de la période si difficile que j'ai traversée, son soutien m'a été précieux – même s'il ne savait pas quelles tragédies je vivais. C'est parce qu'il y étudiait que j'ai choisi la WestConn parmi toutes les universités que j'aurais pu rejoindre. J'étais furieuse contre lui, mais qu'il se soit inquiété de moi au point de s'assurer que je ne manquerais pas les championnats alors que rien ne l'y obligeait et que nous n'avions pas parlé depuis des semaines m'a rappelé pourquoi je l'appréciais à l'origine.

My Crushing WaveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant