Chapitre 39 - Cleo

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Le monde est noir.

Le monde est froid.

Le monde est vide.

Toute la journée, je n'ai tenu debout que parce que je me répétais une seule pensée : ce n'étaient que quelques heures à passer. J'allais serrer les dents, me montrer forte, et puis la nuit viendrait et je pourrais lâcher prise, tout oublier.

Sauf que me voici, dans le lit de mon cousin – Winston m'a laissé sa chambre pour aller dormir avec Darnell –, incapable de me défaire de ma tristesse. De cette solitude terrible qui me glace. C'est une spirale qui me tire vers le bas. Pas seulement l'idée, écrasante, que mes parents ne reviendront pas, jamais, mais aussi, plus largement, que le monde entier est promis à la mort. Tous ceux que j'aime, tout ce qui m'est cher, je le perdrai un jour – ou bien c'est moi qui leur serai arrachée. Généralement, ma foi m'aide à combattre ce vide existentiel, mais pas ce soir. J'ai l'impression de vaciller, de perdre le combat face aux ténèbres. Les paroles de soutien des membres de ma famille ont glissé sur moi sans dissiper la tristesse immense qui a pris ses quartiers dans ma poitrine ; mes yeux ont balayé les messages bienveillants que j'ai reçus de la part d'Angie, Salma et Selena sans y trouver la consolation qu'elles voulaient évidemment m'apporter.

Je suis allongée dans l'obscurité depuis une demi-heure au moins, recroquevillée sous la couverture NFL de Winston. Je n'ai pas peur du noir d'ordinaire, mais depuis que je me suis couchée, il m'angoisse. Je serre les draps entre mes poings, respire plus vite qu'il ne le faudrait. Je ne suis pas sujette aux crises de panique d'ordinaire, pourtant ça y ressemble bien. Je me sens renvoyée aux pires moments de mon deuil, quand la douleur de la perte de mes parents était encore fraîche, quand j'avais le sentiment que ma vie à moi aussi était terminée.

Comment suis-je censée dormir après ça ? Me dire que ce n'est pas si grave, et simplement fermer les yeux ? Accepter cette solitude ?

Non, j'en suis incapable. C'est mon instinct qui le décide, davantage que ma conscience. D'un bond, je me redresse, traverse la pièce. L'instant d'après, je suis sur le palier, et avant d'avoir réalisé ce que je suis en train de faire, je toque à la porte d'en face. Celle de la chambre d'amis, dans laquelle ma tante a installé Neal.

Je patiente, en apnée. Je ne sais pas comment je passerai la nuit s'il ne m'ouvre pas, s'il ne m'aide pas à affronter la noirceur et le silence. J'ai besoin d'encore un peu de lumière, un peu d'espoir. Un peu de chaleur humaine. L'assurance que le soleil se lèvera demain, qu'il réchauffera mon cœur glacé. Que ce soir n'est pas une fin, même si mes yeux ont du mal à le distinguer.

S'il te plaît, ouvre-moi. S'il te plaît...

Je manque de laisser échapper un sanglot de soulagement quand la poignée de la porte tourne. Neal apparaît devant moi, en pyjama orné d'un « 42 » qui s'étale sur tout son torse, baigné par la faible lueur de sa lampe de chevet. Il ne dormait pas encore, je le devine au recueil de mots croisés retourné sur la table de nuit.

— Cleo ? souffle-t-il, indécis.

— Chut, laisse-moi entrer.

J'ai encore suffisamment de bon sens pour ne pas vouloir que ma tante ou mes cousins me découvrent ainsi au beau milieu de la nuit... Heureusement, Neal ne proteste pas et s'écarte. Je fais trois pas en avant, ferme la porte derrière moi.

Et maintenant ?

J'ai agi sur une impulsion en le rejoignant, mais je ne sais pas vraiment ce que je veux. Tout ce qui imprègne mon esprit, c'est que les seuls moments où je me suis sentie un peu moins mal aujourd'hui, ce sont ceux où son contact m'a prodigué un peu de chaleur. Quand sa main n'a jamais lâché la mienne à l'église, quand il m'a tenue contre lui alors que je pleurais devant la tombe de mes parents. Je cherche juste... à me raccrocher à cette sensation, à m'y cramponner pour qu'elle me fasse oublier le reste. Éteindre mes pensées, tenir le froid à l'écart.

My Crushing WaveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant